Le projet Folding@home est un réseau coopératif destiné à accumuler la puissance de calcul engendrée par des millions de micros ordinateurs reliés par Internet. Il met à la disposition des laboratoires de recherche une liste de particuliers ou d’entreprises volontaires pour installer sur leurs machines un logiciel de calcul partagé.  Ce dispositif technique est à la base du fonctionnement du calcul distribué connu sous le nom de Grid (ou grille). Les pouvoirs publics français s’attaquent à soutenir des projets favorisant le développement de e-Science par l’utilisation du Grid, avec bien du retard, malgré l’impatience des chercheurs français, au regard d’autres pays.

L’astronome français Urbain Le Verrier, a contribué par ses calculs à la découverte de la planète Neptune, par l’Allemand Johann Galle en 1846. Pour cela, Urbain le Verrier avait eu besoin de plusieurs centaines de personnes travaillant sans relâche à ces calculs pendant une année et demie. Des chercheurs de l’Université de Notre-Dame, dans l’Indiana, n’ont pas eu ce problème. Afin de résoudre un problème mathématique complexe, ils ont utilisé Internet pour utiliser la puissance informatique combinée de plusieurs milliers de micro-ordinateurs. En regroupant la puissance de milliers de micros ordinateurs répartis sur la planète, Internet fournit des puissances de calcul phénoménales qui dépassent celles des plus gros ordinateurs jamais construits. king-kong-9338Ce moyen permet de réaliser des calculs « partagés », appelés encore calcul distribué, réparti ou coopératif. Il est également appliqué à des programmes variés de coopération mathématique pour découvrir de nouveaux nombres premiers, pour participer à de vastes programmes de recherche scientifique appliqués à des maladies telles que le cancer, le sida et le charbon. Il est aussi utilisé, la presse s’en fait régulièrement l’écho, pour faciliter le « crakage » de codes puissamment cryptés. C’est un procédé de type Grid qui a permis la réalisation des images de synthèses de « King Kong », le département des effets spéciaux de la production a mobilisé quelques 5000 ordinateurs.

GRID, le réseau coopératif de la R&D du futur

Tout possesseur d’ordinateur autorisé, tout individu, petit pays, université ou groupe industriel, pourra bientôt accéder à une puissance informatique phénoménale qui, sous une forme inédite, est capable de traiter des capacités de calculs énormes. Ces capacités inégalables de recherches scientifiques montrent des voies pour les solidarités scientifiques et les projets d’utilité publique du XXIe siècle. Les chercheurs de l’université d’Oxford avaient déjà en avril 2001 lancé comme mot d’ordre « Processeurs de tous les pays, unissez-vous !» en vue de constituer une chaîne d’au moins un million d’ordinateurs pour lutter contre une forme particulière de cancer : la leucémie. Lors de la vague de cas mortels de la maladie du charbon, qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001, la même équipe, a demandé, le 22 janvier 2002 aux utilisateurs de micro-ordinateurs du projet pour la leucémie, de les rejoindre pour participer à l’Anthrax Research Project. L’Anthrax ou « maladie du charbon » est relativement facile à soigner grâce aux antibiotiques, encore faut-il que ceux-ci soient administrés avant l’apparition des symptômes ! Les chercheurs d’Oxford ont mis au point un logiciel développé par Treweren Consultants qui passe en revue des multitudes de molécules pour vérifier si elles ont des chances d’empêcher l’infection des cellules. Les ordinateurs des participants au projet recevaient automatiquement les instructions correspondantes. Après avoir passé au crible 3,57 milliards de molécules, la phase de tri s’est achevée 24 jours après le démarrage du projet. Les promoteurs soutenus par Microsoft pensaient qu’il faudrait au moins entre 3 et 6 semaines pour y parvenir. L’objectif a été atteint plus rapidement que prévu grâce à la participation internationale de plus d’un million d’ordinateurs personnels dans le monde entier. Le 8 mars 2002, le professeur Graham Richards, responsable scientifique du projet, a remis solennellement au département de la Défense américain et au gouvernement britannique un CD contenant les 376 064 molécules sélectionnées parmi lesquelles 12 000 semblaient particulièrement prometteuses.

us_daygridEn Angleterre, la communauté scientifique voit la « grille » (GRID) comme un « bien public » ou commodité comparable à celle de l’électricité. Le programme e.science lancé en 2000 par leur Ministère de la Recherche tend à ce que cette commodité soit accessible à tous les laboratoires. Il a été pris acte qu’à l’avenir de plus en plus de projets scientifiques seraient interdisciplinaires et feraient coopérer de plus en plus d’institutions et de laboratoires de recherche. Un budget de 175 millions d’euros a été mis sur la table en 2000 pour encourager le lancement de projets s’appuyant sur ce type d’infrastructures coopératives. Tous les organismes de recherches britanniques ont été impliqués couvrant un vaste champ d’applications. Alors qu’en France ont se prépare à la relance d’1 projet Grid français, plus de 20 projets ont été lancés depuis dix ans en Grande Bretagne où a été inventé le terme e-Science. Parmi ces derniers, je note le développement d’un outil de simulation et d’exécution d’expériences s’appuyant sur un réseau de micros. Le retard des français n’est pourtant pas du à l’inattention de nos chercheurs. En février 2001, Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la Recherche à l’époque, lançait l’ACI « Globalisation des ressources informatiques et des données (GRID) » à l’INRIA, avec un budget qui ne faisait pas le dixième de celui des britanniques ! Le manque d’ambition (et de moyens, ce qui n’est pas nouveau !) en matière de e-science tenait moins aux motivations de la communauté scientifique qu’à l’incompréhension par les personnels politiques des enjeux et des nouvelles pratiques de la recherche moderne.  J’en veux pour preuve le fait que les applications du Grid ont pour effet de diminuer le coût de certaines recherches, ce qui aurait pu justifier l’urgence de certains investissements. Lorsque, Vijay Pande, biologiste à Standford en Californie, s’est mis en tête de chercher à simuler la structure tridimensionnelle d’une protéine à partir de chaînes aminées, il ne disposait que d’une très faible subvention pour son département. Il lui était impossible de lancer une recherche sur informatique qui aurait nécessité plusieurs millions de dollars. Grâce à une connaissance, il put utiliser gratuitement par des « dons de puissance », 50 000 ordinateurs appartenant à des particuliers et des entreprises qui ont  accepté d’affecter une partie de la puissance non utilisée de leurs ordinateurs pour participer à un gigantesque réseau de recherche fonctionnant en mode coopératif.

cloud_grid_computingCette puissance de calcul immense, quasiment illimitée et gratuite, fait rêver les industriels et les pays dont les besoins vont grandissant pour leurs programmes de recherche. De nombreuses initiatives auxquelles participent des versions françaises du Grid se multiplient dans le monde. Devant cette concurrence potentielle, les compagnies traditionnelles ont commencé à réagir face à ce qu’elles considèrent comme un marché nouveau et important. Il ne s’agit plus ici de mise à disposition gratuite d’un temps d’ordinateur non utilisé, mais de louer du temps d’ordinateurs utilisés à un type de tâches données, une mise en réseau de calculs « à la demande ». La division « Global Services » d’IBM envisageait de créer des « fermes computationnelles » pour une valeur de 4 milliards de $.  Le vice-président du département d’IBM Linux and emerging technologies, Dave Turek, déclarait en 2001 : « Nous allons mettre à la disposition du client un accès à des ressources d’ordinateurs qui ne sont pas physiquement présents dans l’entreprise et qui répondront rapidement et exactement à la demande en termes de capacité et de besoins. » En proposant un concept d’accès universel à l’énergie informatique disponible à la demande, il espère que, dans de brefs délais, la technologie se développera dans une direction commerciale plus conventionnelle. Le « Cloud computing » pointait son nez ! On passait de la coopération et de la solidarité du Grid au « business » du Cloud Computing ! Il faudra sans doute encore des mois pour que les stratégies deviennent plus évidentes. Les acteurs sont désormais déjà en place pour chercher à retirer de substantiels profits de la vente d’énergie informatique pour toutes sortes d’applications de R&D autrefois inaccessibles aux entreprises ne disposant pas d’ordinateurs superpuissants. Karen Benson, du Gartner Group, estimait à l’époque que cette technologie du Grid était trop récente pour savoir de quelle manière l’offre et la demande allait se structurer sachant que les profits sont bien plus élevés et la sécurité des données et des traitements bien supérieure en utilisant des ordinateurs-serveurs que de simples micro-ordinateurs de bureau. Il n’avait pas tort. En effet, si les scientifiques de l’Université de Notre Dame dans l’Indiana – cités plus haut – avaient trouvé la solution qu’ils cherchaient, c’est à l’insu des propriétaires des serveurs qu’ils avaient utilisé ! La distribution auprès de millions d’ordinateurs ne va pas sans risques pour des raisons de sécurité, de propriété intellectuelle, d’erreurs (involontaires ou volontaires) et de coûts de transmission. Mais des chercheurs ont pris du temps pour mettre en place un partage distribué et sécurisé des calculs. On peut s’attendre à ce que les universités et les chercheurs ne se laissent pas confisquer aisément un moyen économique d’accéder à un réseau coopératif aussi puissant. Ensuite les puissantes fondations anglo-saxonnes, qui ont souvent été à l’origine d’initiatives de solidarités humanitaires et scientifiques, poussent les applications du Grid, à l’exemple du site World Community Grid (WCG) développé  en partenariat avec IBM. La R&D pensée et agissant dans le cadre d’un outil collectif et coopératif considéré comme « bien public », ça me plait bien.

Pour participer à des projets français http://www.decrypthon.fr/ Pour en savoir plus Voir les articles et les études de Tony Hey & Anne. Trefethen « The UK e-Science Core Programme and the Grid », Future Generation Computing Systems”. 2002

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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