L’ensemble des innovations soumises aux entreprises sont le fait de métissage d’idées, de savoirs, d’expériences ou de transferts technologiques qui ont toutes pour dénominateur commun d’être sorti du cerveau d’un nombre croissant d’individus collaborant ensemble. Le saut créatif dépend moins de la connaissance acquise que de la capacité à poser en permanence sur le monde qui nous entoure un regard de curiosité et de questionnement permanent. Ceci explique pourquoi beaucoup de cadres ou d’experts brillants ne sont pas d’évidence de bons générateurs d’idées : il faut savoir s’étonner de cela. Leur formation fait trop souvent du savoir – de hautes études –  un facteur statutaire, socialement différenciant, mais stérilisant l’innovation et la recherche de l’inconnu. Leur statut les enferme dans l’univers connu qu’ils maîtrisent mieux que quiconque. Un phénomène amplifié par la montée du niveau de formation. La créativité est souvent le fruit de l’expérience pratique, de l’observation « innocente » mais aussi de la confrontation de différents points de vue d’une collectivité. La rigidité de nos structures institutionnelles qui limite leur adaptation à la volatilité des événements est, elle aussi, un terrible handicap. Les dirigeants qui explorent et cherchent des formes innovantes d’organisation ne tardent pas à constater la difficulté d’introduire un concept un peu novateur. Plusieurs dizaines d’années peuvent être nécessaires avant de l’infiltrer dans les organisations, comme ce fut le cas du juste-à-temps. Ce qui revient à rappeler qu’une innovation technologique peut être déterminante mais que ses applications peuvent attendre très longtemps avant de faire bouger une organisation. Le management moderne va devoir conduire une véritable révolution culturelle pour placer son personnel dans une posture d’adaptation permanente qui ne soit pas uniquement défensive. Un enjeu majeur dans un monde des affaires où il convient de pouvoir être capable, jusqu’au plus haut niveau du management, de conduire des stratégies opportunistes. Face à des évènements extrêmement complexes et variables, gagner en plasticité et en adaptabilité, est considéré par l’entreprise moderne comme une contrainte organisationnelle forte. Mais cet objectif reste trop souvent perçu par le personnel comme un événement momentané qui trouble un instant le cours tranquille des choses et non comme un changement nécessaire de posture intellectuelle pour faire face à un état de perturbation permanent. Les problèmes pratiques touchant à la requalification des organisations s’inscrivent dans un espace de négociation quasi-nul compte tenu de contraintes juridiques d’autant plus fortes que le personnel et leurs représentants craignent tout changement comme la peste. Ils craignent d’y perdre de l’activité ou carrément leur travail. Comble de l’absurde, face à cette impréparation, à ces résistances internes compréhensibles, ce ne sont généralement pas les innovations organisationnelles anticipatrices qui font bouger les entreprises mais les adaptations brutalement imposées par les marchés. Elles renvoient dos à dos des protagonistes qui ont tout à perdre ensemble face au caractère inopiné et parfois violent des changements de conjoncture. Notre histoire industrielle et économique est parsemée de ces terribles défaites collectives : ce n’est plus du gagnant- gagnant mais du perdant-perdant. Aussi devons-nous nous imprégner des stratégies à envisager pour être plus fertiles que nous ne le sommes aujourd’hui. De savoir si nous sommes « fleur » ou « abeille », c’est à dire générateur d’idées ou pollinisateur ? La planète numérique sera le lieu où seront mieux connue les multiples innovations des entrepreneurs qui, malheureusement, n’ont pas toujours la possibilité ni les capacités à les faire connaître au delà de leurs périmètres d’influences traditionnels. Avoir des idées et le faire savoir devient un aspect de la notoriété de son entreprise, de sa ville et – pourquoi pas – de sa région. Reste à faire germer des idées avec des acteurs et dans les endroits ou les circonstances les plus inattendues. Peut-être pourrions-nous nous inspirer et adapter la méthode du « happening » festif choisie par la ville de Singapour ? En novembre 2002, elle mobilisait quelques 8000 habitants durant une semaine dans un même lieu, pourquoi ? Pour chercher des idées. Sur quoi ? Eh bien sur tout, c’est tout ! Ce challenge consistant à inviter des gens à imaginer des idées sur des tas de sujets au choix est désormais inscrit au Livre Guinness des Records. Plus de 800 000 idées ont été proposé durant cette semaine. Bien sur, elles sont inégales, bien sur, elles ne seront pas toutes mises en pratiques. Mais imaginez les liens sociaux qu’ont permis ces libres séances de remues méninges ?! Toutes les personnes présentes ont vécu une expérience unique faite de stimulation, d’émulation bon enfant. Une sorte de voyage dans l’imaginaire à la fois individuel et collectif bien moins frustrant que des réunions pseudos rationnelles que nous vivons dans nos entreprises.

Créatif, le mot clé qui faisait déjà fureur début des années 70 revient en force avec ses ateliers de créativité. Savoir faire phosphorer ses équipes semble être l’impératif du moment. Il s’agit de se démarquer de son concurrent, de résoudre intelligemment et surtout économiquement des problèmes parfois complexes comme celui consistant à trouver un ingénieux système de portage des matériaux sur les piles du pont de Millau en France. vendre idéesDes concours d’idées mobilisant des régions entières, des quartiers ou des villes vont entrer dans la compétition des idées qui enrichissent l’expérience, apportent des économies d’énergies, répondent à des problèmes pratiques. Sous l’impulsion de son maire, la ville de Malaga a lancé un groupe de créativité associant plusieurs acteurs comme des entreprises, des investisseurs et des scientifiques (un « brainet » intitulée e-27, composant  un groupe de réflexion en réseau) afin de développer un important complexe scientifique et technologique dans la région Andalouse. Financé pour l’essentiel par le secteur privé, il a permis la création de 9 000 emplois très qualifiés depuis sa création en 1992. Le projet e-27 aura pour vocation d’attirer les talents les plus brillants dans cette nouvelle Silicon Valley voulu par son maire. Que ce soit dans l’ameublement, l’automobile ou l’équipement des habitations il devient indispensable d’investir en recherche & développement pour trouver des concepts, des composants, des matériaux, des couleurs qui participent à la différenciation positive de leurs produits. Les chercheurs, les designers sont mobilisés pour contribuer à ces objectifs afin de contourner cette concurrence par les coûts. Sous la houlette d’Alessandro Mendini, directeur artistique de la marque Swatch, des designers venus du monde entier travaillent durant quelques mois pour apporter des idées originales. Ces architectes, ces designers, viennent se frotter à un sévère cahier des charges pour faire tenir des idées brillantes sur un cadran de montre. Un objet très ordinaire soumis à une forte concurrence. Imprégnés de différentes cultures, de différentes histoires, chacun de ces créatifs participent à la sublimation de cet objet en échangeant par la même occasion avec des groupes d’experts de toutes origines. Ici, la grande originalité de Swatch est d’avoir démontré que plus que son savoir faire industriel ce sont les idées venues du monde entier, venues de métiers et de cultures diverses qui ont fait le succès des collections de la marque. La créativité doit devenir une œuvre, une posture collective, un acte participatif à la vie sociale et économique. Pour Schumpeter c’est l’innovation, le lancement de grands projets relayés par les investisseurs qui vont déclencher la reprise, enclencher la phase de retournement de la conjoncture, relancer l’économie et donc la consommation. Mais cela ne vaut que pour les gens, les entreprises ou les nations qui ont des idées, des projets. On les attend ! Plutôt que des gestionnaires, des élites consanguines, des tueurs d’idées. Les idées, ça vient avant l’innovation. Non !?

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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