Une idée est comme un mot d’humour qui associe des situations dont la jonction crée la surprise, puis l’hilarité. L’idée fonctionne de façon semblable, elle constitue une association de faits qui surprend, prend du sens, d’abord séduit l’esprit, puis le libère.

Nous voilà entrés dans la bagarre. Mais de laquelle s’agit-il !? D’une bataille des savoirs ou d’une bataille des idées !? Savoir ne signifie pas imaginer ou créer et innover. Alors de quelles batailles parle-t-on ? De la défense des positions acquises ou de la conquête de nouveaux mondes ? Parle-t-on des rentiers qui vivent sur les fonds de commerce des années 60 ou de nos industries du futur ? Parle-t-on de préserver nos marchés ou d’envisager quels seront les marchés de l’avenir ? Les vraies questions sont là. Croyez-vous qu’être savant, disposer de quelques grands chercheurs ou de quelques prix Nobel emblématiques suffit à préparer nos industries des années à venir ? Les inventions ne viennent pas toujours des plus grosses têtes de l’entreprise. C’est un modeste mais génial mécanicien, George Juzan qui a mis au point la première bicyclette moderne. C’est Herminie Cadolle, une ouvrière corsetière du début du 19eme siècle qui inventa, en 1889, le soutien gorge afin de libérer les femmes du joug du corset. Avec l’accélération du cycle schumpétérien de création/destruction d’activités, les entreprises comme les nations doivent devenir des « fabriques d’idées » !

Aussi, lorsqu’on parle de « guerre économique », il nous faut entendre « guerre de l’intelligence » et lorsque nous entendons « batailles de l’innovation », il nous faut entendre « batailles des idées », car les compétitions à venir se feront sur les idées ! Des idées astucieuses sur les façons d’utiliser des connaissances existantes. Les compétitions modernes se déplacent vers les capacités des organisations à inventer. L’innovation n’est pas toujours quelque chose de bien spectaculaire. Elle affecte les fonctions de production, de l’éducation, de la recherche, du commerce et de la distribution. Lorsque NCR lance une caisse libre service afin de diminuer les files d’attentes aux heures de pointe dans les grands magasins, les journaux n’en font pas un titre. Mais des milliers d’acheteurs vont réduire leur temps d’attente. Il suffit de visiter certains sites d’entreprises sur internet pour y trouver une rubrique qui n’existait pas encore récemment : celle des innovations. Une façon de contribuer à la notoriété et à l’attractivité de la firme. Autrefois très discrètes, les informations valorisant la participation des entreprises à des avancées techniques, leurs investissements consentis pour la R&D, leurs retombées pratiques, sont mieux mises en valeur pour attirer des actionnaires qui spéculent de plus en plus sur les entreprises innovantes.

Le discours classique sur l’innovation ne suffit plus. Passer de l’idée à l’action nécessite des approches professionnelles, des méthodes, l’accès à des financements privés ou publics et à des outils pas toujours bien connus par les dirigeants des PME. Il nous faut changer de discours sur la politique d’innovation. Libérer les idées est une chose. Passer de l’idée à l’action en est une autre. Ce n’est pas chose facile. En 2005, Oséo lançait une enquête approfondie auprès de 1000 PME sur leur capacité d’innovation[1]. Elle révèle que 56% des entreprises ont une ou plusieurs idées innovantes en attente de réalisation mais que seules 8% sont véritablement organisées pour innover de manière régulière. Parmi les raisons avancées expliquant la non exploitation de ces idées figurent le manque de temps du dirigeant (59%), le manque de ressources financières de l’entreprise et la difficulté d’accès au crédit pour l’innovation (39%), le risque de fragilisation en cas d’échec (26%) et le manque de personnel qualifié (25%). Les conclusions de l’enquête soulignent que les PME ne sont pas correctement organisées pour valoriser leurs innovations faute de disponibilités de temps et d’une « posture » trop orientée sur le court terme. Un constat déjà fait par le Bipe il y a plus de vingt ans[2] !

Il nous faut ensuite admettre aussi que la recherche, c’est du « business » où toute dispersion est coûteuse ! Tous les ministres, tous les patrons de la R&D devraient avoir la phrase du général Giap à l’esprit : « « Si l’ennemi se concentre, il perd du terrain. S’il se disperse, il perd de la force« . De la même manière qu’une entreprise est tenue de tenir son « portefeuille d’activités » et de l’auditer régulièrement afin d’éviter un déséquilibre trop important entre celles qui consomment des financements (les investissements en R&D) et celles qui en rapportent (les fameuses vaches à lait), il faudra sélectionner des domaines de compétences et s’y faire des alliés pour y tenir un rang de leader. A défaut on se retrouve dans une configuration très agréable pour les concurrents : les uns s’épuisent à tirer les marrons du feu en faisant avancer la recherche et d’autres en tirent les dividendes. Valoriser ses idées et les vendre sous forme de services dans les secteurs les plus divers est une condition indispensable pour maintenir une avance substantielle sur ses marchés. Lorsqu’Alstom vend ses procédés de traitement à charbon propre pour les centrales électriques de la Chine, il s’agit moins de faire des gains de productivité que de se démarquer de son principal concurrent General Electric par la mise en œuvre de techniques plus performantes. Voilà pourquoi il devient essentiel de se demander si l’intelligence de notre R&D est productive et vendable. Cela implique que l’on accepte le « challenge ». A-t-on pris réellement conscience des enjeux que représente cette bataille des idées et des savoirs ?

L’innovation est d’abord un état d’esprit. En France, les idées restent considérées comme un exercice de purge pour les salariés plus qu’un véritable réservoir de valeur. Par ailleurs, nous restons aveugles au fait qu’être savant ne prouve pas une nature créatrice. Ce sont deux choses bien distinctes, pas toujours bien comprises, hélas. Les créatifs ressemblent rarement à l’idée que nous nous en faisons. Pour Richard Florida, l’auteur de The Rise of the Creative Class, ce sont plutôt des penseurs qui « acquièrent un corpus mystérieux de connaissances en propre et les appliquent de façon unique pour exécuter leur travail.« [3]. Voilà pourquoi, les créatifs contournent souvent les règles et le règlement afin de trouver des solutions « hors cadre ». Pour Florida, une attitude rigide risque de couper l’entreprise d’une source d’idées originales. La créativité réside souvent sous votre nez. Pour Florida, il importe de ne pas se faire une idée stéréotypée des créatifs. Les créateurs ne sont pas nécessairement jeunes, gais ou vêtus de noir de la tête au pied.  Le travail créatif exige du temps pour ruminer une question en suspend. Travailler avec les créatifs prend aussi du temps et de l’énergie. Quelques étincelles de génie créatif et voici la partie artiste de l’homme qui s’exprime et qui, souvent, nous enchante. Personne ne sera épargné dans cette nécessité d’innover. Pour cela il nous faut réintroduire une fraîcheur souvent perdue, retrouver une vitalité des idées qui abandonnent les entreprises qui se bureaucratisent trop vite ; qui, pour tout dire, vieillissent mal. Entreprises vite sur la défensive et plus gestionnaires que conquérantes des nouveaux mondes offerts par l’économie numérique. Isaac Getz, consultant et auteur de travaux sur l’innovation, constate les freins encore importants à cette liberté de laisser s’exprimer des esprits non conformistes, des déviants qui pourraient « remettre en cause la légitimité des chefs »[4]. La culture des élites tend à s’enfermer dans un mode de pensée qui s’autoalimente de satisfactions sur son fonctionnement alors que les idées « françaises » restent dans les cartons de leurs promoteurs. Les jardins d’idées à la française doivent comme toujours « être tirés au cordeau », encadrées ! Voici ce que nous écrivions en 2004 en conclusion d’une étude conduite entre l’été et l’hiver 2003 avec l’aide d’étudiants de l’IGS sur la création de valeur ajoutée par les idées dans les réseaux.  « La majorité des entreprises appliquent encore un modèle hiérarchique à l’innovation ou à la pensée créatrice. La direction « pense », le reste exécute… L’innovation et les échanges d’idées ne sont pas considérés à priori comme un état d’esprit qui imprègnerait l’ensemble de la culture de l’entreprise. On retrouve le cloisonnement des fonctions qui limitent les échanges transversaux. Quand c’est la direction du marketing qui a la responsabilité de la e-fertilisation, l’innovation va plutôt être dirigée vers les produits. Lorsque cette responsabilité relève de la direction des systèmes d’information ou de la direction technique, elle est plutôt dirigée vers les process. Notons que la direction des ressources humaines, souvent mentionnée comme fortement demandeuse d’échanges d’expérience dans la profession, n’est citée que pour 2% des cas. [5]» Il n’est pas naturel que si peu de gens se frottent les uns aux autres dans les entreprises ce qui rend notre imaginaire improductif. Au final, comme le soulignait Olivier Postel Vinay dans son ouvrage, la déficience de notre système tient à sa faible interactivité et à sa faible ouverture interdisciplinaire[6]. Auquel cas, nous pourrions reprendre le propos désabusé du doyen de l’université de Oulou en Finlande lors du congrès d’Helsinki en septembre 1999, « Le principal apport des chercheurs en économie de l’emploi, c’est l’emploi des chercheurs en économie ».


[2] http://www.bipe.fr Le BIPE est une société d’études économiques et de conseil en stratégie

[3] RICHARD FLORIDA est Professeur au Regional Economic Development, à la Heinz School of Public Policy and Management, Carnegie Mellon University. “THE RISE OF THE CREATIVE CLASS and how it’s transforming work, leisure, community and everyday life” a été publié par Basic Books member deu Perseus Books Group en 2002

[4] Entretien avec un journaliste de Stratégies de juillet 2004

[6] « Recherche Publique : le grand gâchis », Paris Eyrolles, 2002.

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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