Nous défendons ici l’idée d’une libre mise à disposition des connaissances qui autorise chacun, par ses idées, à créer de la valeur à partir des sources les plus diverses” 95 % des fichiers mis sur la Toile sont le fait des internautes, d’un bout à l’autre de la planète. Quel avenir dès lors pour les lois nationales de copyright, et combien de décennies passeront avant que l’on reconnaisse à chacun un droit universel : celui de circuler librement dans les réseaux de la société des savoirs ?

Dans son discours du 2 septembre 2002 à Johannesburg (Afrique du Sud), le Président français Jacques Chirac soulignait “qu’il est temps de reconnaître qu’existent des biens publics mondiaux et que nous devons les gérer ensemble. Il est temps d’affirmer et de faire prévaloir un intérêt supérieur de l’humanité, qui dépasse à l’évidence l’intérêt de chacun des pays qui la composent”. Des biens publics dont une part croissante se présente désormais sous une forme numérique. Il n’y a pas un dirigeant des pays en voie de développement qui n’ait mis un jour ou l’autre en évidence l’importance du rôle d’Internet, des télécommunications pour désenclaver son économie, irriguer son peuple des connaissances et des expertises qui circulent dans les réseaux. Le président malien Alpha Oumar Konaré souhaitait, en février 2000 à Bamako, pouvoir réaliser “son rêve de voir ses communes branchées les unes aux autres, voir les Maliens branchés sur leurs administrations et brancher enfin le Mali avec les pays qui vivent comme le sien la grande révolution de l’Internet”. La réalité est dure. On parle business.

licences_libres_affiche.thumbCombien de décennies passeront avant que l’on reconnaisse aux habitants des nations pauvres un droit universel : celui de circuler dans les réseaux de la société des savoirs et de son économie. La question se pose en effet des droits d’accès aux publications scientifiques et bases de données qui auraient été financées par les pays d’origine des chercheurs et contributeurs. Biens publics ou biens privés ? Quelles limites au droit d’usage et d’exploitation des textes ? Les fonds publics contribuent de façon conséquente à l’accroissement des savoirs et souvent les fonds privés à leur exploitation. Une frontière doit-elle s’établir entre savoirs fondamentaux et savoirs appliqués alors que la R&D reste plutôt soutenue par les pouvoirs publics ? Nous défendons ici l’idée d’une libre mise à disposition des connaissances qui autorise chacun, par ses idées, à créer de la valeur à partir des sources les plus diverses. Cela veut dire aussi, qu’a contrario des pratiques actuelles, l’on abandonne la notion de “découverte” au seul bénéfice de l’activité inventive. La découverte des caractéristiques d’une plante est un bien public, les applications de cette “découverte publique” peuvent relever du bien privé.

lannee-des-bibliothequesLes découvertes des séquences ADN relève du patrimoine commun, les applications spécifiques de séquences particulières peuvent relever du patrimoine du laboratoire privé qui lancerait une molécule utile à la santé. Découvrir le rôle des carbures dans la métallurgie est une connaissance publique, les appliquer de façon singulière et imaginative à des procédés de cémentation est une activité inventive. Le brevet protège l’entreprise privée qui aura su mettre au point cette invention. Depuis quelques années nous assistons notamment aux Etats-Unis à une dérive du droit de la propriété intellectuelle utilisé pour écarter les concurrents ou confisquer des blocs entiers de connaissances. L’existence de groupes qui mettent en œuvre à la fois l’expropriation des savoirs et le contrôle des canaux de distribution est particulièrement inquiétante, car elle réalise “le pire des deux mondes”: réduction de la diversité de l’offre, contrôle des médias de distribution utilisés pour la promotion de contenus ou de produits aux fins de leur marchandisation. Ce type d’organisation bénéficie des rendements croissants et des externalités positives de réseau (utilité croissante des produits au fur et à mesure de leur diffusion), constituant un risque de monopole en l’absence d’une alternative sous forme de “biens communs” comme on sut le démonter les tenants de l’Open Source. Ces derniers font partie de ceux qui organisent la résistance à l’offensive contre les biens numériques, notamment en pratiquant la “production coopérative” des savoirs. Afin de libérer les connaissances des appétits des distributeurs, ce sont les scientifiques eux-mêmes qui ont pris des initiatives comme celle du Public Library of Science et les droits de copyleft ou Creative Commons. Les créations de BCN (Biens Communs Numériques) explosent avec les applications des blogs et autres vecteurs d’échanges numérisés des savoirs. Deux pays ont récemment contribué de manière spectaculaire à enrichir le patrimoine numérique commun de l’humanité, l’Autriche et le Royaume-Uni. Dans le cadre de l’année Mozart (2006), ont été mis en ligne et disponibles gratuitement toutes les partitions et un certain nombre de manuscrits du compositeur sur le site http://dme.mozarteum.at. De son côté, l’université de Cambridge a mis en ligne les travaux, lettres, manuscrits, dessins, etc. de Charles Darwin que les chercheurs pouvaient consulter dans sa bibliothèque et qui sont désormais consultables gratuitement sur http://darwin-online.org.uk. Ces documents étaient, jusqu’ici, accessibles aux seuls chercheurs depuis la bibliothèque de l’université de Cambridge. Cette dernière a scanné des copies de microfilms produits pour la plupart dans les années 1990 par le service d’imagerie de la bibliothèque. “Charles Darwin est un des scientifiques les plus influents de notre histoire. Le fait que tous, à travers le monde, puissent accéder à ses travaux sur le Web est absolument fantastique”, a déclaré à la BBC John van Wyhe, historien des sciences à l’université de Cambridge. Dernier exemple, le quotidien britannique Times vient de mettre gratuitement à disposition des internautes deux cents ans d’archives sur son site. Elles couvrent une période s’étalant du 1er janvier 1785, date de naissance du journal, au 31 décembre 1985. L’ensemble des éditions du célèbre journal a en effet été scanné et numérisé, donnant ainsi accès à la totalité des pages de l’époque, défauts d’impression inclus. Un logiciel de reconnaissance de caractères permet même aux lecteurs de faire des recherches dans le corps des textes. Les archives du Guardian et de The Observer (qui font partie du même groupe) sont également disponibles sur Internet à partir d’un site commun, mais elles sont payantes. Et la France dans tout cela ? Certes, la Bibliothèque nationale a numérisé un certain nombre d’œuvres d’écrivains, philosophes ou scientifiques français, mais il n’existe aucune réalisation, ni aucun projet pour l’œuvre complète d’un équivalent de Mozart ou de Darwin, comme Victor Hugo, Descartes ou Jules Verne. Désolant. Le retard français dans les acquisitions et les applications des spécificités de l’économie numérique est absolument désolant lorsque l’on sait que les publications officielles n’éditent qu’une infime partie des connaissances disponibles. Afin de compenser cette perte de substance, les scientifiques, les grandes écoles multiplient les bibliothèques virtuelles où viennent s’alimenter les élèves, les enseignants et les chercheurs. De tous les horizons surgissent des scientifiques, des éducateurs, des intellectuels, soucieux de voir les nations s’entendre et reconsidérer, dans l’intérêt de leurs citoyens, leur devoir de préserver le libre accès aux connaissances, aux idées et aux savoirs. Le mouvement se consolide d’ailleurs via l’Union européenne, à l’origine de la future bibliothèque numérique européenne, dont le lancement est prévu cet automne avec 2 millions de références. Europeana.eu, auquel participent l’INA et la BNF, “permettra à tous d’accéder facilement et rapidement aux œuvres artistiques et littéraires européennes”, a expliqué Viviane Reding, commissaire européenne à la Société de l’information. Reste aux pays membres à assurer le financement des 225 millions d’euros nécessaires.

Nouvel Economiste 10 Septembre 2008 Par Denis Ettighoffer, fondateur d’Eurotechnopolis Institut, auteur de “Netbrain, les batailles des nations savantes” – Dunod 2008. Pour en savoir plus

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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