Le rapport Olivennes est non seulement critiqué en France mais aussi par la Commission Européenne. Les sénateurs français, Dieu merci, semblent vouloir revenir à plus de bon sens en limitant la portée de certaines sanctions. Laisser l’impression que les internautes français sont tous des délinquants en puissance n’a pas été très productif. Les publicités sur Internet, sur les DVD et autres supports ne parlent que de ça. Pour la grande majorité des internautes il n’est pas question de laisser la Toile hors la loi, pas plus que de léser les artistes et les auteurs victimes de la « démarque inconnue ». Mais il n’est pas question non plus d’ignorer la maturité progressive des marchés qui ce traduit pas une croissance de la vente de biens culturels et une diminution relative des pertes pour cause de téléchargements pirates.
Cent cinquante mille dollars pour avoir téléchargé 37 morceaux sous copyright ! Peut-être le lecteur se rappelle t’il de Whitney Harper, une jeune américaine qui a été traduite devant les tribunaux par la RIAA (Recording Industry Association of America[1]). Les lobbies de l’industrie musicale avaient demandé à ce que le Copyright Act soit respecté et qu’une peine entre 750 et 30 000 dollars soit infligée pour chaque acte jugé illégal. Comme Whitney Harper était coupable d’avoir utilisé un moteur P2P pour effectuer 37 téléchargements, la note se montait à quelques 150 000 dollars. Le juge n’en accepta que 7400. Whitney n’avait que 16 ans à l’époque des faits. Jugeant cette sentence trop clémente, la RIAA a décidé dans un premier temps de faire appel (sans doute pour en tirer un peu plus d’argent afin de faire face à ses frais d’avocats) ce qui fut largement contesté par l’opinion publique. Du coup, la RIAA a modifié sa position et sa communication en présentant son appel comme une action «éducative ». En réalité, la RIAA a déjà dépensé des fortunes en procès sans grands succès comme dans l’affaire l’opposant à Jammie Thomas[2]. Ces mésaventures peuvent concerner n’importe quel internaute. Elles sont la résultante d’un juridisme très anglo-saxon exacerbé par une âpreté indécente aux gains.
Si on prête quelque intérêt aux pertes annoncées à l’économie des contenus par le piratage et la contrefaçon ont obtient des chiffres qui donnent le vertige. Elles auraient coûtées quelques 250 milliards de dollars par an aux Etats-Unis. On ne peut qu’être sceptique face à de tels chiffres. C’est la question que le journaliste américain, Timothy B. Lee, s’est avisé de poser au responsable de la communication de l’organisme américain en charge des infractions sur le copyright. Prudent, ce dernier à indiqué qu’il fallait enlever de ce montant, celui spécifique à la contrefaçon. Plus problématique a été le fait que ce journaliste n’a jamais pu obtenir comment la police fédérale a fait ses calculs et comment elle est arrivé à ce chiffre. Pire, elle n’a pas été en mesure de donner ces sources. En fait notre enquêteur s’apercevra qu’une des seule sources plausibles était un article sur la contrefaçon paru dans Forbes plus de dix ans auparavant (1993). Poursuivant son enquête notre journaliste s’adressera alors à une association (IACC) qui réunit des industriels qui se défendent collectivement contre la contrefaçon. Là, il y apprendra que le chiffre donné était une estimation qui couvrait l’ensemble des marchés mondiaux et pas que les Etats-Unis. De son coté, l’Institut d’Innovation Politique, un groupe de lobbyistes qui pousse à renforcer encore la protection du « copyright », avance une estimation tout aussi fantaisiste de 58 milliards de dollars de pertes annuelles. Elle est en réalité plus proche de 20 milliards selon Timothy B. Lee[3] qui plaide, comme je le fais régulièrement, pour que les sources et les liens soient disponibles afin de stopper ces exagérations. Des chiffres parfois très fantaisistes courent un peu partout comme, par exemple, le fait que la piraterie sur Internet serait à l’origine de la perte de 750 000 emplois. Au gré de la recherche de sensationnel ces estimations fantaisistes ne rendent service à personne.
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Que doit-on comprendre par « démarque inconnue » ? L’expression est utilisée dans la grande distribution. Elle recouvre les pertes dues à des vols par des clients et du personnel, des consommations sur place, des erreurs de référencements et des prix marqués, des écarts entre les stocks informatiques et les stocks réels, le tout pouvant représenter des sommes considérables. En 2004, la revue LSA faisait état de 6 milliards d’euros de pertes et 4,6 milliards pour seuls les vols de produits en 2006 selon le GRTB VII. Rapportée à l’idée du piratage sur la Toile, ce pourrait être comparé à ce que faisait nombre de garnements lorsque dans les années 60, ils entraient en douce par la porte de sortie pour voir un film sans payer. Les garnements d’aujourd’hui utilisent internet pour se télécharger des films ou des morceaux de musiques sans payer. Ce qui représente un manque à gagner pour les opérateurs (et les ayants droits de la production). Du coup ces derniers ont tout intérêt à hurler le plus fort possible afin de limiter les téléchargements pirates qui diminue d’autant les droits qui leur seront payés. Ceci dit, ces droits négociés avec les opérateurs tiennent compte du manque à gagner de la démarque inconnue, comme le fait la grande distribution qui répercute sur la totalité des clients la perte constatée. Ce dont, bien sur, on ne parle jamais.
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Pour une majorité, pourtant favorable au téléchargement légal, les lois en discussion sont taillées sur mesure pour les éditeurs plus que pour les producteurs et les artistes intervenant dans le processus de création. D’ailleurs, beaucoup sont partant sur des façons différentes de les rémunérer. Le problème est que cela n’arrange pas toujours les éditeurs traditionnels. Au début des téléchargements payants, il n’y avait pas de différence de prix entre un achat CD et les singles (20 en moyenne) proposés sur la Toile à 0,97 euros le morceau. On peut comprendre la mauvaise humeur de ceux des internautes qui voyaient les éditeurs confisquer la marge supplémentaire offerte par ce type de distribution. Aujourd’hui, des forfaits de téléchargements illimités sont disponibles car financés par des produits dérivés, la publicité ou le sponsoring. Des offres de téléchargements low cost voire gratuits ne cessent d’être lancées sur la Toile, dont certaines venant de l’étranger, intensifiant la concurrence entre majors et éditeurs imaginatifs. Ce phénomène contribue à dynamiser les marchés et plaide pour une extrême prudence dans les interventions autres que structurelles. Le rapport Olivennes a laissé l’impression regrettable que les « fournisseurs » des copies pirates et les hébergeurs n’étaient pas concernés par les sanctions et les contrôles. Aussi, si les actions de sensibilisation et de communication vers les internautes doivent continuer, il convient néanmoins de rappeler que ce sont d’abord les fournisseurs et les distributeurs de produits numériques illicites qui doivent être inquiétés et que ce message aussi il faut le faire passer. Le Parlement européen vient d’adopter un rapport qui appelle à ne pas criminaliser les consommateurs. De leur côté le Sénat américain et la MPAA, (Association des majors de l’édition musicale) n’ont plus l’intention de s’attaquer directement aux internautes[4]. Ils privilégient la poursuite des individus reconnus coupables de distribution illégale de fichiers. Au Canada, les forces de l’ordre ont cessé de poursuivre les internautes qui téléchargent de la musique et des films et n’en font pas commerce. En d’autres termes, les juges s’intéressent surtout au parasitisme commercial dont sont victimes les ayants droits. Même en France, les juges sont attentifs à tenir compte de l’absence de but lucratif[5]. Les sénateurs français de leur côté ne souhaitent pas criminaliser d’office les internautes.
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Le piratage détourné ? Myspace vient de passer un accord avec le site américain Auditude spécialisé dans la promotion des vidéos. Cette société repère les vidéos pirates illégales et les associent à des bannières publicitaires dont certaines dénoncent le piratage. Les revenus tirés de ces bannières sont partagés avec les ayant droits. Pas très orthodoxe, ce procédé qui traque les atteintes au copyright, parasite le piratage et surtout le rend plus visible auprès des internautes ce qui parait une excellente chose. Cela surprend encore les éditeurs de contenus mais MTV Networks (MTV, Comedy Central, Nickelodeon, etc.) qui trouve l’idée astucieuse vient de signer un accord avec MySpace et Auditude pour que ses vidéos piratées deviennent rentables de préférence à des procès toujours aléatoires et coûteux.
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Même si cela est long, les marchés s’adaptent et les pertes dues à la démarque inconnue diminuent. L’économie numérique quitte très progressivement la zone far West pour une régulation plus sereine. IDC vient de présenter pour la cinquième année consécutive une investigation sur la « démarque inconnue » (ou piratage pour les éditeurs) dans le monde à la demande de la BSA (Business Software Alliance[6]). Sa principale conclusion est que le piratage de logiciels en 2007 a relativement diminué dans 67 pays et augmenté dans 8 seulement. Si la France reste un pays sous surveillance, une baisse se confirme depuis trois ans. Pour l’Hexagone, l’étude IDC avance que le piratage de logiciels est responsable de la perte de 2,6 milliards de dollars. Oui, mais la France est aussi l’un des plus gros consommateurs mondial de biens numériques. Ainsi selon Comscore, un organisme d’étude dédié au Net, un internaute français regarde 90 movies contre 77 en moyenne pour un internaute américain, ce petit monde étant devancé par les canadiens avec 112 vidéos. Une tendance qui ne pourra qu’augmenter au détriment du temps passé devant la télévision en contribuant à une demande plus importante des débits circulant dans les réseaux des opérateurs. Une des raisons de cet engouement me paraît évidente. La France fait partie des nations les mieux équipées en matière de haut débit. Ce qui peut aussi expliquer l’importance des téléchargements pirates… ou pas, alors que le mode de facturation des opérateurs reste encore neutre par rapport à ces gros consommateurs. Ce qui fait que la majorité des utilisateurs ne paie pas en proportion de leur consommation. Problème qui me paraît, à l’évidence devoir être résolu un jour ou l’autre. Il ne faut pas que la bataille des éditeurs, même légitime à certains égards, ne trompe l’analyse. Malgré le brouhaha actuel, le législateur doit garder à l’esprit qu’il fait l’objet de pressions destinées à maintenir les positions des intervenants alors que se multiplie les initiatives en matière de modèles économies nouveaux. Face à la démarque inconnue de l’économie numérique les élus doivent sanctionner les dérapages les plus significatifs du « parasitisme » commercial mais en laissant faire les forces du marché des contenus qui se régulera progressivement.
Paris. Octobre 2008
[1] http://www.riaa.com/
[2] http://www.clubic.com/actualite-169622-affaire-thomas-riaa.html
[3] http://www.freedom-to-tinker.com/blog/tblee/piracy-statistics-and-importance-journalistic-skepticism
[4] Plutôt que de privilégier le modèle répressif, la justice belge contraint les hébergeurs à installer un filtrage des activités de téléchargements de P2P. En juin 2007, un tribunal de Bruxelles a imposé au fournisseur d’accès à Internet (FAI) Scarlet, ex-Tiscali, de mettre en place des mesures techniques pour empêcher le téléchargement illégal des contenus de la Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs (Sabam). Le mythe selon lequel il serait impossible d’assurer un filtrage efficace a été balayé par les remises de conclusions d’un expert qui a proposé onze solutions de blocages possibles. Philippe Crouzillacq , 01net.
[5] A-t-on bien évalué les difficultés de disposer des procédés de traçage contre des internautes qui ne savent pas toujours identifier un fichier légal d’un autre que ne l’est pas? Ce qui sera l’occasion d’autant de litiges générant des milliers de procédures auquel les tribunaux devront faire face.
[6] Pour rappel, la BSA est une organisation mondiale regroupant plusieurs grands éditeurs (Adobe, Apple, McAfee, Microsoft, Symantec, …) qui revendique une mission de promotion d’un monde numérique légal et sûr. L’une des armes favorites de la BSA dans son » sacerdoce « , est la publication d’études alarmistes et par ailleurs souvent sujettes à caution, dans lesquelles sont pointés du doigt les principaux pays où la piraterie logicielle est monnaie courante avec les pertes toujours colossales que cela engendre pour l’économie mondiale.
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que certains auteurs soutiennent que la diffusion de leurs oeuvres « par piratage » est favorable à la vente de ces mêmes oeuvres : Paolo Coelho par exemple qui recense sur son blog les endroits sur le web ou l’on trouve ses oeuvres, il a même ouvert une section de téléchargement…
http://blog.lefigaro.fr/hightech/2008/12/paolo-coelho-le-piratage-augme.html
Thanks very much for your document.
I’ve appreciated your approach at the question finding new business model instead
to consider pirates evereryone that exchange contents out of any commercial way.
If Europe wants try to achive the ambitius aim of its « Lisbon Agenda » has to change the paradigm.
A new approach permit to produce new solutions in the policies.
for example: the cost of the « démarque inconnue » related to Internet, could be regain introducing a flat rate
for the internet users redistribute to the authors in proportion to their contents downloded.
I’ve advanced that proposal in the Italian Parliament without any effect but, if I don’t mistake,
the French Senate once approved something similar.
Arrivederci
Sen. Fiorello Cortiana