La globalisation de l’économie, souvent mise en avant pour de bonnes ou mauvaises raisons, ne doit pas masquer une évolution historique irrésistible : La fin des nations et des effets frontières traditionnels. Les espaces de régulation couverts par les autorités de l’État s’arrêtent aux limites frontalières d’autrefois alors que les régions s’organisent en réseaux. Les capitales ne sont plus les « phares » d’une nation, elles sont les hosts, les hubs, plus ou moins spécialisés d’un réseau des capitales mondiales. Les individus ne sont plus uniquement les citoyens d’un pays, ils sont les ressortissants de communautés virtuelles. Les travailleurs modernes ne sont plus des salariés d’une entreprise donnée, ils sont des mercenaires, des nomades digitalisés dans des réseaux professionnels les plus divers. L’individu est tout à la fois le membre d’une communauté physique et le ressortissant numérisé d’un cybermonde dont il choisit les caractéristiques. Né ici, vivant là, surfeur sur la toile qui lui sert d’outil, de modes d’évasion, de vecteur relationnel. La Nation disparaît et l’individu renforce son lien local, ses lieux de vie et utilise les modes distants pour renforcer ses liens d’affinités. Il choisit librement avec qui faire des affaires, travailler, consommer, se distraire, s’associer.

Notre destin et celui de la population mondiale est scellé dans les réseaux. Posez un instant le sac, et pensez vraiment à ce que serait votre monde, votre business, votre vie familiale et professionnelle si l’on vous privait de tous les réseaux de communications dans lesquelles votre vie est immergée. Il y a de forte chance pour que, en dehors des misanthropes des temps anciens pour qui la vie de berger est le summum du confort, vous n’abordiez pas cette hypothèse sans un profond malaise.

Pour Alvin Tofler et d’autres, comme l’américain Roger Masters ou le japonais Kenichi Ohamae, le pouvoir des réseaux contribuerait à une désagrégation de la notion de nations au sens ancien du terme[1]. Bien sûr, personne ne prévoit la fin de l’Angleterre, de l’Italie ou de la France, mais plutôt une cohabitation entre le régional (le proxi) et le réseau d’appartenance ou d’affinités (le Télé). Il s’agit d’un réajustement des pouvoirs d’influences respectifs de l’un et de l’autre. L’un agit essentiellement sur la gestion des ressources matérielles, le confort, la sécurité et la logistique. Le second concentre les échanges et la commercialisation des savoirs, l’immatériel, la connaissance qui devient universelle. L’un peut concentrer universités et centres de recherche, le second ouvre aux différentes disciplines des diasporas scientifiques ou techniques. L’un représente l’abondance matérielle et le confort traditionnel. Le second une façon d’offrir l’accès à un abondance « économe » du premier. Le « riche marché des pauvres » s’alimente du second terme de l’économie, l’économie en réseaux ; la Netéconomie. Car, avec la Netéconomie on contourne les frontières. On se procure des biens et des services meilleurs marchés ou introuvables sur place.

Par contrecoup, la concurrence entre les États s’exacerbe. Des États providence ne font qu’attirer les plus miséreux là ou d’autres n’attirent que les entreprises avides d’avantages fiscaux. Les citoyens numériques achètent où bon leur semble, compare les prix mais aussi les modes de vie, l’efficacité des administrations, la productivité de leurs écoles, la qualité de la gestion des pouvoirs publics, l’honnêteté de leurs élus. Le fossé se creuse entre les élites qui utilisent les réseaux et le reste du monde. Entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Entre ceux qui achètent et vendent des savoirs transformés et ceux qui aspirent à l’accès gratuits aux connaissances. L’hétérogénéité des populations reste tout aussi importante dans les réseaux électroniques sous la forme des communautés d’intérêts, de valeurs partagées.

Mais, différemment le village numérique de Mac Luhan atténue, efface, gomme les différences sociales, les différences d’âges, de revenus, les handicaps de tous ordres. Les hommes découvrent sur Internet des valeurs d’égalité, de solidarité et d’échange, de coopération comme jamais dans l’histoire. La mondialisation est aussi réductrice de la pauvreté. Selon une étude de la Banque Mondiale les pays les plus intégrés dans l’économie mondiale ont vu la production par habitant croitre de 5% par an. En revanche dans les pays fermés la production par habitant aurait reculé d’1% en moyenne.

De leur côté, les États les plus réactionnaires résistent aux pertes de leur pouvoir, notamment en « sécurisant » et en « bunkérisant » leurs populations. Ce qui est une erreur dramatique. Ces derniers limitent les migrations physiques ou virtuelles comme ils le peuvent. La propagande sécuritaire est un marché qui tourne. Il n’existe pas de meilleures prisons que celles que s’infligent des individus sous influence. Si le terrorisme n’existait pas il faudrait l’inventer. Il sert de justification pour limiter les libertés publiques, fliquer les comportements, limiter les déplacements, les échanges, les coopérations et les pensées des gens. L’idéologie politique ou religieuse deviennent les remparts des sociétés et des cultures contemporaines. L’intolérance prend d’autres formes. Les raisons des conflits économiques aussi. Les limitations aux droits d’accès aux connaissances en est une. Les droits s’opposent que les valeurs d’équité combattent. Lors d’un colloque à Montréal en 1997 sur « la République Numérique » nous avions compris que la Toile serait un vecteur essentiel du politique, de la démocratie. Sera t’elle apaisée pour autant ? Nous n’en sommes pas convaincus. La violence des échanges dans les forums et le déchaînement des passions des camps en présence marque les limites à ne pas franchir. Un outil de consultation, de recueils d’idées et de points de vue mais surtout pas un outil d’aide à la décision politique ! En matière de pilotage politique, voyons la Toile d’abord comme un thermomètre avant de la voir comme une médication !

[1] Voir « De l’Etat Nations aux Etats Régions » (Village Mondial 1997) ou « Géographie secrète de la nouvelle économie » (Village Mondial 2001) Pour Rogers Masters voir Futuribles n° 228 de février 1998.

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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