28 septembre 2033 . La découverte ce matin de Nathan Faukestein aura stupéfait, choqué ou réjoui bien des gens. Barbouillé des pieds à la tête de déjections sur lesquelles étaient collées des plumes de volailles, l’ex président de la Banca Oliviera Trust a été découvert attaché à un piquet sur la pelouse devant le parlement de Madrid. Visiblement éprouvé, Nathan Faukestein, n’a rien voulu dire aux autorités de ce qui lui était arrivé. Il est en observation dans une clinique privée. Les commentaires vont bon train et la police a reçu l’instruction de trouver les coupables de ce qui est vraisemblablement une vengeance de la part des nombreux ennemis que le banquier s’est faits avec la faillite de sa banque suite à des spéculations dont on ne connait pas encore les tenants et aboutissants. Nos lecteurs n’auront pas oublié la perte des fonds de pension privés qui avaient lui été confiés plongeant des milliers de gens dans la misère. L’enquête suit son cours. Il n’est pas dit que les policiers feront beaucoup de zèle afin de trouver les responsables de ce qui est sans doute une action commando d’une des nombreuses agences de justice privée de la place.

La justice privée est devenue un marché lucratif. Commencée sans grand fracas dans les années 2020, la campagne de communication de la société Vengezmoi.com n’a jamais cessé d’alimenter le buzz en relatant les actions qu’elle engageait régulièrement contre des voyous. Parties de Kyoto où les habitants découvraient des petits autocollants  disposés sur tous les lieux de passage public, des initiatives similaires se sont misent à proliférer dans l’ensemble des réseaux sociaux internationaux au fil des mois. Il est vrai que la demande est énorme. De plus en plus de triades se sont spécialisées dans la fourniture de tueurs à gages et de campagnes de représailles dans des conflits privés ou d’entreprises. Pas grand monde n’a oublié le scandale de l’utilisation du réseau anonyme Tor dans les années 2024 pour des enchères privées mettant à prix des individus afin de choisir le « moins disant » des tueurs à gages. Malgré l’étanchéité du réseau, l’amateurisme de certains « tueurs d’occasion » aura permis de mettre fin à ce trafic odieux où la valeur de la personne pouvait ne pas valoir grand-chose.

C’est un journaliste japonais Asahi Nagasiki qui a eu l’idée de créer, dans les années 2026, le premier réseau privé d’agences spécialisées en charge de faire respecter la justice ou de venger une personne qui aurait subi un préjudice. Harceler un débiteur, un mauvais payeur au téléphone, faire suivre un homme qui a abandonné ses enfants ou qui pratique le harcèlement sexuel dans son entreprise par un homme sandwich ou encore organiser une mise en scène pour ridiculiser un mari qui trompe sa femme fait partie de l’ordinaire de « vengezmoi.com ». L’initiateur de vengezmoi.com, considère que son agence évite d’être débordée par les demandes de tueurs et les propositions illégales pour se consacrer à aider des clients lésés pour infliger au coupable une souffrance au moins égale à celle subit. Le tout en restant dans la plus parfaite légalité. Bien que peu de personnes osent en parler, la privatisation partielle et progressive de la justice était en cours depuis le début du siècle. Les prisons sont déjà construites et gérées par des sociétés privées et contrôlées par les administrations publiques. On y a constaté des abus et des dérapages parfois dramatiques, notamment lorsque l’on a découvert aux Etats Unis une vrai mafia des juges qui infligeaient des peines disproportionnées pour augmenter le taux d’occupation de ces prisons privées[1]. Dans les années 2012 le vice président américain Dick Cheney avait été inquiété pour sa collusion avec les intérêts très privés des prisons texanes.

La société civile s’organise en créant des contre-pouvoirs. Les médiateurs de la société civile s’installent dans les tribunaux et autres instances afin de soulager une justice écroulée de travail, débordée et inefficace. Inefficace parce que les délais de traitement du moindre dossier prennent des années, inefficace parce qu’après les décisions de justice interviennent les comportements dilatoires des personnes ou des sociétés condamnées, inefficace parce que les intermédiaires de justice se tournent vers les dossiers les plus rentables, plus préoccupés de faire les fins de mois que de voir aboutir une affaire de justice quelconque. Inéquitable aussi parce que le droit des accusés est souvent devenu plus efficace que le droit des victimes. Résultat : alors que les victimes ont soif de voir reconnaître leurs souffrances, les procédures ne vont pas à leur terme. La réparation, même psychologique, n’intervient que très rarement. La société civile a réagi en créant des activités privées capables de récupérer des créances, de pourchasser de mauvais payeurs, de pister des époux indélicats et désormais de venger la victime. L’initiative d’Asahi Nagasiki ne fait que révéler au grand jour l’immense soif de justice et de vengeance qui sommeille en chacun de nous. La vengeance est un moteur de bien des romans et des films proposés au public. Ils n’auront été qu’un temps un exécutoire aujourd’hui insuffisant[2].

Longtemps confidentielle et connu par le bouche à oreille, le réseau «  de vengeance » comme l’appellent déjà certains est devenu en quelques jours, avec l’affaire Nathan Faukestein,  la cible de tous les médias et des institutions. N’empêche que Vengezmoi.com a donné des idées à de possibles concurrents. Des agences de détectives privés et autres officines spécialisées dans le contentieux, plus ou moins sérieuses ont rapidement pris le relais afin de récupérer des clientèles. Les chaînes de télévision se sont ruées sur cette forme de punition qui fait du voyeurisme, vertu. Beaumarchais, défenseur des libertés, ne disait-il pas « Quand le déshonneur est public, il faut que la vengeance le soit aussi ». Nous y sommes. La chaîne 14, adossée semble-t-il à un bon cabinet d’avocats et disposant d’une société de production est en train d’organiser les mises en scènes et les scénarios qui vengeront des clients ou personnes lésées selon des critères de sélection encore confidentiels. Selon nos sources, l’idée pour le moins audacieuse de la chaine est de faire sponsoriser certaines affaires emblématiques. Sur la Toile, des forums se mettent en place qui dénoncent – d’ailleurs sans trop de précautions- les injustices et les malhonnêtetés dont certains ont été les victimes. Les pouvoirs publics ont bien du mal à encadrer de telles pratiques et à sanctionner les coupables, les responsables et les hauts fonctionnaires en charge du dossier pouvant faire eux même l’objet de tentatives d’intimidation. Ne vous étonnez donc pas si, n’ayant pu voter les moyens de financement de votre Justice, vous apprenez que des opérations de revanches sont sponsorisées par des sociétés privées souhaitant s’attirer la sympathie d’un nombre croissant d’individus aspirant à plus d’équité.

[1] Un business français

[2] Déjà en 2013, un blog confidentiel démontrait que la France n’était pas en retard pour ce qui est des idées de vengeance… généralement pas de très bons goûts.

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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