Le récit des choses du passé alimente le goût de découvrir, dans les placards virtuels que sont nos mémoires, des trésors d’innovations qui peuvent être exploités par les nouvelles générations. Monster.com a lancé, il y a quelques mois, une brochure qui raconte plusieurs dizaines d’histoires issues des rencontres entre particuliers engagés dans un processus de vente. Les anecdotes d’entreprises qui se sont réappropriées leur passé pour se réinventer sont légions. Adidas a puisé dans son passé pour lancer en 2001 sa collection Adidas Has a Story. Volkswagen a réinventé sa Coccinelle sous le nom de Beetle par goût de la nostalgie ou pour rappeler que l’entreprise à une histoire dont elle peut s’enorgueillir. Boeing fit de sa gamme des 757 et 767 un grand succès en se servant de l’industrie cinématographique pour en faire des stars. Qui se plaindra de travailler dans une entreprise qui a fait l’histoire ou qui a joué un rôle particulier dans la vie des affaires. J’aime bien cette formule que nous devrions tous adopter : « transformer vos produits ordinaires en expériences extraordinaires ».

Lors de la réalisation de son précédent programme 737 et 747 Boeing avait rencontré de sérieuses difficultés que la firme ne souhaitait pas revivre lors du lancement de sa gamme 757 et 767. Afin de lister les problèmes déjà rencontrés les anciennes équipes furent invitées à en établir la liste. Au bout de quelques mois un document de plus d’une centaine de pages de recommandations permettait aux équipes en charge des nouveaux avions de limiter le nombre des défauts constatés dans la précédente période. L’entreprise pour cela avait travaillé sur sa mémoire, véritable banque à idées latentes, en utilisant tous les relais à sa disposition. Savoir renouer avec l’histoire des hommes et de l’entreprise est sans doute la plus belle des façons de reconstruire ou retrouver les repères qui manquent à la plupart des collaborateurs d’une entreprise. Non seulement ils se connaissent mal, mais en plus ils ne connaissent pas le passé de l’entreprise, son substrat culturel. Nous avons tous, un jour ou l’autre, rencontré cet ancien qui savait nous faisait revivre les moments glorieux du service ou de la société. Ces témoignages qui constituent progressivement l’humus de l’expérience collective restent rarement encouragés car ils sont aussi porteurs des échecs et des erreurs passées. Ce qui explique que l’oralité est le vecteur de transmission le mieux admis dans notre culture. machineacafepcLes rumeurs de cantines, du maintenant célèbre « point Coke » ou « point café » alimentent le désir de connaître les petites histoires – parfois croustillantes – qui font la vie de l’entreprise. A travers ces récits existe aussi le désir fondamental pour chacun de passer des messages à la collectivité, à ses supérieurs ou à ses collègues afin de faire partager ses difficultés professionnelles et ses rêves d’amélioration de son poste ou de ses pratiques. L’intrigue des récits s’établit sur la base d’un vécu que les consultants, qui font métier d’accompagner les changements, retrouvent en permanence dans les problèmes ou les conflits qui agitent une collectivité. D’ailleurs c’est si vrai que le désir parfois un peu naïf des directions de donner la parole en encourageant « le parler vrai » se heurte au silence buté des salariés qui ne veulent plus s’exprimer car ils ont compris que l’on « purgeait » leur ressentiment ou leur stress sans jamais passer à l’acte qui soulage ou guérit. D’où l’importance de savoir les limites d’une démarche d’encouragement à la narration professionnelle qui ne serait que « du vent ».

Les récits doivent devenir un outil pour apprendre à apprendre. Dans les réseaux de l’entreprise, la narration, l’art de la narration devrais-je dire, est un levier d’animation favorisant la construction d’une culture d’entreprise partagée par son réseau social. L’importance croissante donnée à la réussite des « news letter » et de l’utilisation des blogs dans les services de communication (et au delà) des entreprises illustre parfaitement le renouveau de l’écrit dans la relation client, avec ses marchés et partenaires. On peut intéresser un partenaire du bout du monde à l’histoire en cours ou passé pour en tirer un enseignement. Pour l’employé, le cadre, l’acte de raconter, d’expliquer, oblige à être plus clair dans la démarche pédagogique. Préparer un cours, comme raconter une histoire, fut-elle professionnelle, nécessite de savoir transmettre des savoirs. Les récits deviennent des bases de connaissances sur les stratégies successives de l’entreprise, ses réussites, ses échecs ou ses difficultés. La scénarisation de la vie de l’entreprise est devenue un acte essentiel de sa communication interne. Comme cette mise en scène ne peut toujours faire l’objet d’ouvrages (mais cela arrive) toujours lourds et coûteux à gérer, on privilégie de petites anecdotes. La Toile et ses blogs deviennent en cela un outil très économique, d’une portée universelle pour communiquer avec l’ensemble du corps social de l’entreprise et, si cela est nécessaire, avec une communauté spécifique. C’est d’ailleurs dans les univers corporatistes ou communautés professionnelles que l’on trouve les plus anciennes origines des récits d’expériences professionnelles et d’échange continu des savoirs. Dans l’entreprise ces pratiques sont la meilleure façon de faire remonter des points de vues parfois originaux et précieux sur un point particulier.

2093644965_4e784964faDe ce point de vue, les blogs constituent un dispositif précieux de remonté d’informations sensibles, véritables bases de connaissances des ressentis, des jugements collectifs sur un sujet donné. Ils sont parfois considérés comme les nouveaux outils du groupware. Ce qui est inexact. D’abord il ne faut pas confondre leurs caractéristiques. Le Blog n’est pas un outil du travailler ensemble. Le Blog est d’abord un outil pour se faire connaître ou reconnaître. Une façon de se faire entendre, de se rendre intéressant ou de dire des choses intéressantes. De faire passer des messages vers son public, ses clients, ses collègues, les membres d’une communauté. Les blogs permettent à chacun ou à une équipe de constituer son journal de bord, de se construire une histoire réelle ou inventée, il s’agit d’un outil pour projeter et faire partager ses idées et ses convictions. Il s’agit moins de travailler de façon concertée que de frotter ses idées avec d’autres. Des lecteurs anonymes ou pas qui réagiront parfois pour alimenter le Blog, y retenir une polémique, en faire un outil de promotion personnel ou pour une équipe. Le blog, outil du journalisme de la vie de l’entreprise permet de projeter son savoir et de partager des expériences sur les réseaux. Bien que l’engouement pour les blogs en ait un peu dévoyé le sens originel, il incarne et projette l’égo de l’individu ou de l’organisation. Son intérêt tient essentiellement à ce qu’il est le vecteur de l’irrationnel, du politiquement incorrect, du sentiment ou du ressentiment, le messager des nouvelles qui n’ont rien à voir avec les notes administratives du service du personnel. Les blogs sont essentiellement des outils du subjectif qui expriment valeurs et d’émotions. Passons sur les remarques ironiques de certains lorsque l’on aborde les nouvelles possibilités de ces outils pour mettre du vécu et du sentiment dans les communications internes : la gazette des cancans, tu n’y penses pas ! Les mêmes qui prônent l’utilisation des blogs pour faire du « CRM » en communiquant avec leurs clients les considèrent incompatibles lorsqu’il s’agit de favoriser la communication interne. Ces blogs en participant à la notoriété, à l’attractivité de l’entreprise peuvent faciliter sa politique d’embauche ainsi que ses relations avec sa clientèle. Les blogs  rapportent des évènements, évoquent des sensations, donnent des avis, de la couleur, du sens et des valeurs aux vécus de chacun et de la collectivité. Pour peu que les auteurs sachent maîtriser leur égo et leur humeur, ils peuvent enrichir le débat des idées qui circulent dans l’entreprise et bien au-delà. Gloria.fr a encouragé ses salariés à s’ouvrir un blog maison afin de faciliter les échanges de points de vues sur l’entreprise, ses produits, ses activités. Le fondateur de la Fraise.typepade.com utilise son blog pour faire passer des idées créatives et attirer des clients qui participent avec plaisir à cette créativité continue. L’essentiel est de recueillir l’expression personnelle du collaborateur, du client ou du partenaire de l’entreprise devient le vrai objectif du « bloguage » en entreprise. Au final les blogs contribuent à créer une atmosphère de travail et de coopération entre les différentes composantes d’un réseau humain. Enfin, les blogs démontrent surtout ceci : il faut donner beaucoup pour recevoir, un peu. Encore faut-il avoir quelque chose à dire.

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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