Mai 2050. Dans la plus totale discrétion nous fêtons le mariage de Nuk et de l’Hydro ! L’EDF vient de mettre en route une première micro-centrale nucléaire française qui fournira l’énergie nécessaire à la production d’hydrogène en grande quantité. 

Gênée, embarrassée par des politiques énergétiques inconsistantes, par la pression des écologistes et par ses retards dans la mise en œuvre de ses EPR, la France pourtant en pointe en matière de développement de l’énergie nucléaire et de retraitement, a perdu son leadership. Les Français devenus majoritairement des écolos anti-éoliens, anti-gaz, anti-pétrole, anti-bifteck, anti…, bref anti tout, auront repoussé, et failli anéantir l’expertise française en matière de réalisation de micros centrales nucléaires. Les tenants de l’ancienne économie auront, durant des décennies, opté pour le développement d’une filière d’EPR dont la rentabilité n’a jamais pu être démontrée[1]. Un peu partout dans le monde les opérateurs ont cherché, de préférence à des EPR de plus de 1000 MW, une solution en se tournant vers des réacteurs nucléaires de petite taille, les SMR pour « Small Modular Reactor » d’environ 300 Méga Watts. Ces dernières années différents projets ont été lancés dont celui, étonnant, d’une centrale nucléaire russe sur une plate-forme flottante pour alimenter des chantiers miniers en Sibérie. De leur côté, les Anglais devenus méfiants en matière de méga centrale, se sont tournés vers des solutions de micros centrales. Si les Français disposent d’un savoir-faire exceptionnel en matière de réacteurs miniaturisés à destination de leur marine[2], c’est Rolls Royce, déjà fournisseur de composants pour le nucléaire militaire français, qui s’est lancé dès 2020 dans un projet encore en développement de seize SMR de 400 W sur son territoire. La même année les américains obtenaient, malgré les réticences du Congrès, l’agrément pour lancer en 2029 l’exploitation de leur prototype proposée par la société NuScale et qui a démarré avec cinq ans de retard.

Un blocage redoutable pour le maintien de notre expertise. Durant plus de vingt ans l’expérimentation des micro-centrales aura été bloquée en France face à des écologistes qui refusent de voir en l’électricité décarbonée qu’est le nucléaire, la solution à l’explosion des besoins en énergies, capable d’un rendement carbone comparable à celui des éoliennes et meilleur que celui des panneaux solaires ou même des énergies géothermiques[3]. Les bigots de dame nature semblaient avoir zappé que la France restait encore dépendante en matière d’énergies primaires et que le nucléaire n’est pas seulement une énergie propre, verte, mais un moyen d’économiser sur les importations d’énergies fossiles. Mieux encore, ces bigots qui nous jetaient à la figure les efforts de nos voisins ne savaient sans doute pas que ces derniers, en important massivement de l’électricité « verte » française amélioraient leur propre bilan carbone. Ils étaient vertueux grâce à notre production d’électricité d’origine nucléaire. Un comble ! Ces surplus vendus à nos voisins ont diminué avec la fermeture de certaines de nos centrales à gaz, charbon et bien sûr nucléaires. Finies les capacités d’entraide entre opérateurs sur le réseau intra-européen, finies les chiffres d’affaires d’exportation correspondants. Comme le marché c’est réduit que faire sinon augmenter le prix du KW/H. On a vite rattrapé les prix de nos voisins comme l’Allemagne, la Suède et d’autres encore qui étaient le double des années 2020[4].

Un anti-nucléaire limitant les marges de manœuvre. Le déclassement des installations de production traditionnelle un peu partout dans le monde laissait sans vraie solution l’adaptation à des modes de production « vert » capables de s’imposer face aux gigantesques besoins énergétiques des nations. En d’autres termes l’équilibre « offre/demande » était impossible sans remise en question des politiques actuelles[5]. Pouvait-on croire que le solaire et l’éolien allaient répondre aux besoins des nations de plus en plus gourmandes en énergie[6] ? La lecture des rapports d’études sur le sujet montrait la précarité des solutions alternatives (ensoleillement, capacité de l’éolien, interconnexion et pilotage[7]) et les faibles marges de manœuvre des opérateurs en Europe. Les efforts des pays en matière d’économies énergétiques et le développement de solutions décarbonées n’auront pas suffi. Pour les réalistes, le nucléaire solution « bas carbone » des micros centrales restait dans la course malgré des études préliminaires évaluant à plus de 70 cts le KW/H des SMR, soit trois fois le prix le plus haut pratiqué en Europe. Face aux énergies dites renouvelables, la mission parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, donnait pourtant l’avantage à la filière nucléaire[8] lorsque l’on prenait en compte les coûts externes dans un contexte de décarbonisation imposée qui s’avérait de plus en plus coûteuse.

On pouvait s’interroger sur les prévisions publiées de déclassement du nucléaire français. Toutes les nations devaient faire face à l’augmentation des parcs de véhicules électriques et, à celle prévisible, des prix de l’énergie remettant en cause le bilan économique de la filière du « tout électrique » traditionnelle. Et puis il y a l’exportation… la Belgique, l’Allemagne ont toujours besoin d’importer leur électricité. Par crainte de défaut de capacité, les reports de fermetures ont été multipliés partout, repoussant d’autant la part d’utilisation des énergies décarbonées et la diminution des émissions de CO².

Les écologistes ne manquaient pas d’arguments. D’autant que la dissémination des SMR posait des problèmes de sécurité de fonctionnement. Mais la question n’était pas de savoir si nous étions pros ou antinucléaires mais comment faire cohabiter la multiplicité des modes de production énergétique, leurs complémentarités possibles. Là les micros centrales y trouvent leur place. Des ingénieurs de l’EDF et des verts favorables à l’utilisation des micros centrales ont réussi à démontrer que les SMR pouvaient trouver leur justification dans des applications ponctuelles très gourmandes en énergie : pour désaliniser l’eau de mer, pour la production d’électricité pour les fermes de serveurs informatiques qui consomment autant qu’une petite ville[9], pour la fabrication des piles à combustible pour nos maisons et finalement pour produire économiquement le carburant du futur : l’hydrogène devenu indispensable au confort de la population mondiale. Ces micro-centrales au fonctionnement simplifié pour faciliter leur maintenance, semi enterrée et à proximité des consommateurs afin d’éviter le financement dans les réseaux, deviennent plus aisées et moins coûteuses.

Voilà pourquoi, le mini-réacteur français Nuclear Forward[10] , familièrement nommé « Nuk », n’a vu le jour qu’à la fin des années 2040. Mais, il ne sera pas utilisé pour alimenter les foyers français mais des électrolyseurs ! Résultat, là où nos concurrents multiplient les applications de ces micros centrales, suite à l’opposition farouche des écologistes, la première micro-centrale nucléaire française ne servira pour qu’à produire de l’hydrogène vert pour nos automobiles et nos engins mécaniques. Vive les mariés ! Restons positif. Espérons qu’un jour ils pourront faire de nombreux enfants.

Pour une mise à jour sur le sujet : https://www.geopolitique-electricite.fr/

https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/enjeux-et-prospective/decryptages/energies-renouvelables/tout-savoir-lhydrogene

[1] Nous parlons de « coûts complets » c’est-à-dire incluant les externalités souvent mises sous le tapis

[2] L’entreprise TechnicAtome avait développé un savoir-faire rare susceptible de donner un avantage concurrentiel décisif dans le monde des SMR ».

[3] Bilan CO² photovoltaïque 48gr, charbon 820gr, gaz 490gr, Eolienne terrestre 11gr, nucléaire 12gr.

[4] France 17,1 centimes d’euros // Allemagne 29,8 cts.

[5] https://www.strategie.gouv.fr/publications/securite-dapprovisionnement-electrique-europe-horizon-2030

[6] Production France 97% sans CO² dont 76,5% d’origine nucléaire et 13,6% en renouvelable.

[7] Piloter l’interconnexion des mini production éoliennes ou photovoltaïques, reste difficile, il le serait encore plus pour les micros centrales nucléaires.

[8] Février 1999

[9] Selon les calculs de Galaxy Digital, la consommation électrique annuelle du Bitcoin est ainsi estimée à 113,89 TWh/an. Et celle du domaine des banques traditionnelles : 238,92 TWh/an. Soit un peu plus du double et celle de l’or à 240,61 TWh/an.

[10] Nom donné par l’EDF au concept de SMR

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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