« … » En lisant le livre j’ai mesuré sans doute mieux les « sacrifices » que vous avez dû consentir au cours des dernières années pour réaliser et mener à bien ce travail qui, à mon avis, devrait être placé en tête des rayons des bibliothèques universitaires et, surtout, sur le bureau des décideurs politiques : la ministre Valérie Pécresse (Enseignement supérieur et Recherche), les secrétaires d’Etat Luc Chatel (Industrie et Consommation), Hervé Novelli (Commerce et PME) et Eric Besson (Economie numérique) et de leurs collaborateurs dans la haute fonction publique (par exemple M. Bernard Benhamou, chargé de mission aux usages de l’Internet). L’ouvrage, en tout cas, est très riche. Je n’en connais pas de plus complet, et encore moins de plus « visionnaire », sur les sujets qui touchent la « planète numérique ».

Je me réjouis que cet ouvrage ait été écrit par un Français et soit publié, fût-ce pour deux ou trois ans (!), en France, un pays qui, comme vous l’avez montré, souffre d’un retard conceptuel profond pour tout ce qui concerne les enjeux futurs de l’Internet (enjeux technologiques, économiques, juridiques etc.). J’applaudis ce que vous dites à propos de l’équilibre à trouver entre le « proxi » et le « télé » ainsi que de la thèse selon laquelle le « proxi » renvoie moins à l’idée de « nation » qu’à celle de « région » (et des coopérations entre euro-régions). Je me réfère notamment à ce que vous dites en p269 et suivantes. C’est là une analyse pertinente lorsqu’on observe attentivement ce qui se passe en Europe, et au-delà, mais aussi une analyse qui, en France, risque de vous attirer quelques ennemis, tous les parangons de notre vieil Etat-Nation habillé en « République indivisible, laïque, démocratique et sociale » où, en fait, rien ne semble pouvoir changer sans crise. Il n’y a qu’à voir ce qu’il est advenu du « rapport Attali », dans un premier temps vanté pour son audace et ses recommandations concrètes, puis insensiblement rejeté dans les poubelles de l’Histoire, comme tant d’autres rapports, pour avoir indisposé les corporations de taxis ou encore les conseillers généraux !

Je souhaite que votre ouvrage courageux soit lu, reconnu et considéré en fonction des perspectives optimistes qu’il ouvre à la France et à l’Europe. Vous dites à un certain moment qu’il ne faut pas regarder dans le rétroviseur : c’est en effet un défaut qui, en France, moins dans d’autres pays européens, tend à geler la prise en compte des analyses lucides et à retarder les ajustements indispensables. En même temps, vous montrez bien les atouts spécifiques de la France, y compris dans le domaine du droit, et vous déplorez son inaptitude (d’essence culturelle ?) à transformer ses atouts en succès commerciaux. Ce serait utile d’identifier en France les chercheurs qui, comme vous, ont compris que les entreprises doivent s’allier en vertu d’une « complémentarité des compétences » et non d’une « mutualisation des ressources matérielles » (p42). Je songe à un chercheur, à l’Université de Montpellier je crois, Gaël Gueguen, qui est l’un des rares à travailler en France sur la notion d’écosystème d’affaires (qu’on peut associer ensuite à tout ce que vous dites sur les approches open source, copyleft, Creative Commons, etc. pour introduire l’autre notion d’écosystèmes d’affaires numériques – voir par exemple le site web que maintient mon unité sur les « Digital Business Ecosystèmes ».

Cette idée d’un nouveau paradigme de la coopération vous amène tout naturellement à développer le thème de la dématérialisation des activités humaines au profit (a) d’une montée des biens numériques « intangibles », (b) d’une transformation radicale des conditions dans l’échange d’information, et (c) d’une financiarisation des connaissances. J’ai particulièrement apprécié de lire vos idées sur ce dernier point, évoqué en p93 et développé avec talent et force de conviction au chapitre 5. Nous devons, comme vous le dites en p157, « devenir les meilleurs traders de la planète en matière de gestion et de commercialisation des droits de propriété (immatériels). » Cette idée ne rejoint-elle pas d’ailleurs certaines des « réformes » évoquées ces temps-ci en France, en matière d’éducation et de recherche notamment, même si l’on peut regretter que la France donne encore parfois l’impression de regarder (enfin !) vers l’avenir munie des outils intellectuels et techniques du passé. Car il faut, en effet, une démarche audacieuse et ambitieuse : « devenir un havre fiscal pour les droits des licences issues de l’innovation des talents venus du monde entier » ! (p169). Quand reconnaîtra-t-on qu’au lieu de se plaindre de l’exode des cerveaux, il faudrait mettre en place une politique d’importation de matière grise pour attirer les « inséminateurs de l’économie des savoirs » (jolie formule en p174). Il faudrait, notamment, un grand projet de réalité virtuelle « FranceRV » (p298).

Le point peut-être le plus important de votre livre (excusez-moi de prendre un tel raccourci) est résumé en p209 : « On a perdu de vue depuis longtemps aux Etats-Unis qu’un brevet servait à protéger et rémunérer une activité réellement inventive. Il sert aujourd’hui d’arme de dissuasion massive contre la concurrence… ». Il me semble que tout le livre est organisé autour de cette idée dont il développe les multiples ramifications. Il y a aussi l’idée que c’est la prise d’initiative qui fait le succès, l’audace des idées et l’innovation dans les services (p280).  Vous parlez à un moment de la « France des ingénieurs » et vous dites avec raison que les chefs d’entreprise et les chercheurs (publics ?) sont moins avisés que les investisseurs en ce qui concerne l’utilisation des savoir-faire. Peut-être serait-ce là une idée à creuser davantage au moment où la France parle de réformer son enseignement ? De façon plus anecdotique, l’intellectuel féru d’histoire que je suis a goûté les chemins de traverse tels que ceux évoqués p135-136 (Mme Georgin/Diderot, la corporation des traiteurs et autres cercles d’intellectuels qui, aujourd’hui, se sont transformés en quasi-sectes servant des intérêts politiques ou d’affaires). J’ai regretté – c’est anecdotique – le brevet d’intelligence que vous avez octroyé à Donald Rumsfelf (p82) mais j’ai bien compris que la référence servait à faire passer le message que dans la planète numérique les organisations devaient accepter de se transformer pour s’adapter à de nouveaux standards de comportement.

Heureux de savoir qu’on peut télécharger tous vos livres après 3 ans et aussi que sur votre site l’on peut consulter des annexes à vos ouvrages ! Vous mettez ainsi vos idées en pratique, et vous avez raison d’associer la générosité et l’intelligence. Nous en reparlerons si vous le souhaitez. En attendant je ferai de mon mieux pour faire connaître votre ouvrage auprès de mes collègues (quel dommage qu’il n’existe qu’en français…).

Bien cordialement, Février 2009

Gérald Santucci – Chef de l’unité « Entreprises en réseau et RFID » à la direction générale « Société de l’Information et Médias » (DG INFSO) de la Commission européenne.

 

 

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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