Dans l’Union Européenne, quelles que soient leur taille et leur secteur d’activité, les PME doivent toutes faire face aux conséquences d’un processus de changement rapide portant sur la technologie, l’économie et les conditions d’intégration dans un nouvel espace économique et social. La possibilité de s’adapter à ces changements est souvent une question de survie pour les PME qui, autrement, risquent de faire faillite avec d’importantes conséquences pour l’emploi. Le problème est que bon nombre n’accède pas dans des conditions satisfaisantes aux compétences qui sont nécessaires à leur développement. Une étude du BIPE signalait l’isolement des entreprises françaises, et la faiblesse de leurs investissements immatériels comparativement à d’autres pays compétiteurs notamment hors des centres urbains[1]. Cet investissement représentait 3% du PIB contre 6% aux Etats-Unis. Pour ces PME, nombre de barrières – technologiques, proximité des services, coûts d’accès à la matière grise et à la veille économique – sont autant d’écueils difficilement franchissables. Certaines contournent partiellement la difficulté en s’alliant à des réseaux de compétence (filières professionnelles, instituts technologiques, associations d’entreprises.

Une étude détaillée de la Darès sur ces difficultés souligne que si les petites entreprises semblent mieux tirer parti de leur taille dans les secteurs traditionnels, elles sont, au contraire, handicapées dans les secteurs porteurs et novateurs. Pourquoi ? D’une part à cause d’un déficit local de matière grise et de services. D’autre part parce qu’elles n’ont pas les moyens de financer des projets de R&D. La même étude insiste par ailleurs sur le fait que la petite entreprise sous la contrainte du court terme manque de capacité pour anticiper et gérer le long terme. D’où l’importance de pouvoir lui donner des capacités d’innovation, ce qui implique, faute de compétences propres, un apport de matière grise, de l’innovation », venu de l’extérieur. En 1991, le groupe Algoe revenait sur le sujet pour conclure en substance que les PMI qui avaient le plus investi dans la matière grise développaient une valeur ajoutée par emploi plus forte que les autres entreprises. Leur ratio bénéfice net / chiffres d’affaires était plus élevé : 4,1 contre 2,2%. Le constat portait également sur le fait qu’elles étaient aussi les plus audacieuses en matière de partenariat, 38% contre 25% pour les moins innovantes et les plus dynamiques dans les projets d’implantation à l’étranger. Toutefois l’auteur de l’étude insistait sur le fait que les aides à l’innovation étaient bien plus élevées à l’étranger qu’en France, six fois plus en Allemagne.

Ce constat favorise le développement des partenariats entre entreprises pour constituer de réseaux d’échange de savoirs transnationaux. Parmi les nombreux projets d’études sur le Télétravail de la Commission des Communautés Européennes on trouve des projets de mise en Réseaux de Services à Valeur Ajoutée. Les anglais ont lancé, depuis 1993, sous l’impulsion du DTI (Department Trade Industry), une vigoureuse campagne d’information et de sensibilisation vers ces entreprises afin de les voir s’équiper pour qu’elles s’habituent à coopérer, notamment pour améliorer leur capacité à s’installer sur de nouveaux marchés. Les Canadiens s’y sont mis avec leurs « réseaux d’excellences » et les Français avec les « pôles de compétitivité ». De telles initiatives montrent que les pouvoirs publics ont un rôle nouveau à jouer dans la compétitivité globale des entreprises. Ces derniers ont compris qu’en soutenant les investissements dans les applications du “cooperative working”, ils favorisaient aussi le développement des réseaux d’affaires. Réseaux qui ne doivent pas être structurants mais ouverts à la coopération. La crainte des dirigeants de PME étant de perdre leur indépendance par une intégration trop importante dans une chaîne d’information. C’est la raison pour laquelle ils privilégient les ressources de savoirs à la demande, ce que fait très bien Netbrain.

On peut sans difficultés imaginer l’importance des sommes économisées si chaque entreprise devait financer pour son propre compte une somme importante de connaissances intéressant son métier. Média-Coach l’a bien compris. Mélange de ressources services et de compétences, Media-Coach lance un portail pour fournir aux détaillants francophones installés un peu partout sur la planète un lieu d’échange privilégié ainsi qu’une multitude de ressources pour les aider à démarrer et structurer leur commerce. Depuis plus de 20 ans, Média-Coach contribue à améliorer la performance de grandes chaînes de détaillants du Québec. C’est ce savoir-faire qu’elle rend désormais accessible aux entrepreneurs indépendants. Selon son président, Daniel P. Baril, « Les commerçants indépendants n’ont pas toujours les ressources pour s’offrir les services de conseillers stratégiques. Ils gèrent leur commerce par essais et erreurs jusqu’à ce qu’ils trouvent une recette gagnante ou qu’ils ferment leurs portes. Malheureusement, dans les cinq premières années d’opération, 80% des commerçants disparaissent. Detaillants.com a donc été créé pour aider les commerçants à se doter des mêmes outils que les grandes entreprises et pour partager leurs expériences avec leurs pairs. » En devenant membres de detaillants.com, les détaillants ont accès à l’ensemble des ressources disponibles sur le site. Ils peuvent télécharger un logiciel pour créer leur plan d’affaires, des guides de formation, des formulaires d’évaluation de la performance, des manuels d’opération génériques, etc. Ils peuvent aussi y lire des articles écrits par différents collaborateurs experts en vente au détail, sur le marchandisage, marketing, financement, gestion des stocks, gestion du personnel, etc. À partir du forum privé, les membres peuvent développer des relations d’affaires, vendre ou acheter un commerce ou simplement partager leurs idées avec d’autres commerçants.

Les alliances coopératives socioprofessionnelles concentrent leurs ressources, leurs compétences sur une plate-forme ou un portail métier spécialisé. Une approche similaire à la notion des districts industriels à l’italienne. Elle donnera lieu en France aux Systèmes Productifs Localisés ou SPL promus par la Datar[2]. La nécessaire recherche de cohésion entre acteurs industriels et économiques permettra des rapprochements fructueux mais la cohérence des SPL structure deux entrées, la compétence et la région (géopolitique), alors que l’approche par communautés virtuelles d’entreprises, plus globale, va s’intéresser à catalyser les industriels surtout par filières de compétences : transversales et transnationales. Cette dernière option favorise l’achat « low cost » de prestations et de composants à l’étranger. Les développement récents des SPL, les systèmes productifs locaux ou districts industriels locaux, sont un levier opportun pour aider les PME à faire face aux défis de la mondialisation. Depuis 2000, le Club de L’Ourcq réunit de façon informelle une vingtaine d’entreprises tout comme l’association 1901 de Mécatronic. L’idée générale est de favoriser les échanges d’informations pour développer leurs affaires, partager des ressources et des connaissances. Rien de facile compte tenu de l’individualité des acteurs, des chefs d’entreprises. C’est là, sans doute, que ce trouve le talon d’Achille des organisations du futur : dans la capacité à s’ouvrir, à échanger, à partager avec d’autres. Pourtant auront-elles le choix ? Les pôles de compétences sont des générateurs de services à valeur ajoutée. La netéconomie a pour autre caractéristique de renforcer les polarités économiques. L’effet de club McElfe est géographique. Les plateformes de services ou les portails de services en ligne polarisent les flux entrant et sortant donnant ainsi à ces échanges une polarité économique chaque fois spécifique. Telle ou telle nation sera en mesure à l’avenir de détenir des plateformes spécifiques qui produiront de la richesse locale. Chaque région du monde va s’attacher à dominer un ou plusieurs portefeuilles d’activités afin de préserver sa capacité à créer de la richesse vive locale. Sous le titre « Réseaux d’Entreprises et Développement Local » les experts de l’OCDE, ont réalisé fin des années 90 une étude sur les Systèmes Productifs Locaux qui a sans doute grandement contribué à la prise de conscience par les pouvoirs publics français de l’importance croissante du rôle que jouent désormais les grappes d’entreprises organisées en réseaux[3]. 

Les portails de webservices des socioprofessionnels

Les portails deviennent des plateformes métiers communes à plusieurs entreprises, à des professions spécialisées. Cette organisation abaisse le seuil de retour sur investissement en permettant à plusieurs entreprises de « piocher » à la demande dans les ressources offertes. Le portail devient un lieu, une agora où se traite et s’échange savoirs et informations. Chaque membre du portail a recensé les matières dans lesquels il excelle. Il ouvre ou non l’accès à ses bases, à ses outils spécifiques. Chacun vend ou échange ses méthodes, ses solutions. Des logiciels, des simulations, des recettes, des tableaux de bords, des suivis de marchés sont autant de produits mis sur les étagères virtuelles de ces portails. Ces derniers deviennent de véritables centres de métiers numériques, des centres d’excellences. Au demeurant cette orientation est devenue obligatoire pour la plupart des entreprises ou des métiers qui travaillent en fortes interdépendances les uns des autres.

Ces organisations rappellent la constitution des rues ou des quartiers spécialisés d’autrefois. Le quartier des minotiers est devenu un webring dédiée à la profession des boulangers, la rue des marchands de vin est devenue un réseau dédié aux professions du vin avec Vinea. Ainsi les quartiers d’autrefois deviennent sur les réseaux des communautés de savoirs qui échangent intensément. Une tendance devenue indispensable compte tenu de l’extrême dilution des informations, des savoirs circulant sur le web. Ce type d’organisation abaisse le seuil de retour sur investissement en permettant à plusieurs entreprises de « piocher » à la demande dans les ressources de connaissances offertes. Le portail devient un lieu, une agora où se traitent et s’échangent savoirs et informations contre monnaie ou sous forme de trocs. Chaque membre du portail a recensé les matières dans lesquelles il excelle. Il ouvre ou non l’accès à ses bases, à ses outils spécifiques. Chacun vend ou échange ses méthodes, ses solutions. Des logiciels, des simulations, des recettes, des tableaux de bords, des suivis de marchés sont autant de produits mis sur les étagères virtuelles de ces portails. Ces derniers deviennent de véritables centres de métiers numériques. Au demeurant cette orientation est devenue obligatoire pour la plupart des entreprises ou des métiers qui travaillent en forte interdépendance les uns des autres. Selon les acteurs en cause, ces portails seront dédiés à une entreprise incluant éventuellement ses filiales ou ses sous-traitants, une corporation métier, une association professionnelle ou même une cité, une région donnée.

C’est pour faire face à une concurrence sur les prix de plus en plus dangereuse que des industriels du meuble de la région Nantaise ont décidé de se fédérer dans le portail Alista. Ce réseau a progressivement rapproché tout un ensemble d’intervenants de la filière. Elle réunit plus de 80% des ressources de compétences des Pays de la Loire et du Poitou-Charentes et pèse quelques 53 millions d’euros de chiffre d’affaires. Grâce à son réseau, les socioprofessionnels peuvent envisager des diversifications impensables autrement. La pression sur les prix qui fait baisser la part des ventes a obligé les professionnels à explorer des modes de production auprès de sous-traitants notamment étrangers qui complètent la filière en cours de remodelage. Le président du réseau, Gérard Monnerie, par ailleurs président de Meubles du Poitou, considère que l’échange de pratiques entre les partenaires aura permis de révéler combien chacun des membres de l’alliance était confronté aux mêmes problèmes alors que les activités des uns et des autres pouvaient être complémentaires. Une complémentarité et une force de frappe commerciale qui permettra d’attaquer des marchés autrement inaccessibles, à l’exemple d’une importante commande au Japon qui sera ventilée entre les membres du réseau. Surtout, ces échanges collectifs et stimulants constituent une émulation entre les membres du réseau mobilisés afin de trouver de nouveaux débouchés. L’occasion de mesurer l’importance d’investir dans des procédés nouveaux, de revoir des gammes un peu vieillissantes, d’envisager des couleurs et des formes un peu plus mode. Une cross fertilisation si bien perçue que les partenariats avec des designers, avec des savoirs faire complémentaires se multiplient et incitent les membres du réseau Alista à s’ouvrir à d’autres métiers extérieurs à l’ameublement afin de renforcer encore, par des productions originales et imaginatives, leur capacité de réaction à la concurrence par les prix. Cette capacité à s’organiser en filière professionnelle, à fédérer un réseau d’experts mobilisés pour échanger savoir-faire et meilleures pratiques devient la clé de la gestion du patrimoine immatériel d’une collectivité donnée.

Denis Ettighoffer – Octobre 2018

[1] Une étude déjà ancienne de 1988

[2] Étude Atlas des Régions par Enjeux les Echos Régions de 1999.

[3] Édition OCDE. Documentation Française 1999 (voir aussi numéro spécial des Echos Région d’avril 1999)

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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