cooperationLe journal Les Echos du 13 mai 2009 souligne la bonne résistance et le succès des commerces coopératifs[1]. Les enseignes de la Fédération du Commerce Associé (FCA) auront réalisés une croissance de 4,9% contre 4,8% l’an passé. Selon le président de la FCA, Guy Leclerc, le taux de survie des commerces coopératifs est deux fois supérieur à la moyenne. La raison en est que les commerçants associés en réseaux jouent la solidarité tout en évitant les coûts des lourdes  structures intégrées. Les premiers réseaux socio-économiques se sont constitués ainsi, par la mise en place d’organisations coopératives pour faire face à la dureté des temps. Un constat qui n’est pas nouveau.Au Japon, à la fin de la guerre, après l’effondrement de l’empire, les vainqueurs démantelèrent toute l’industrie qui avait participé à l’effort de guerre. Durant les années qui suivirent les patrons japonais manquant de capitaux reconstituèrent des coopérations entre des milliers de petites entreprises fragilisées par la terrible récession qui suivit : les keiretsu étaient nées. Pratiquement en même temps, les espagnols avec leurs coopératives, les italiens avec les districts industriels du Nord reconstituaient leur tissu économique en se basant sur l’économie coopérative comme le fera l’Argentine dans les années 80. La « Coop » paraît être un instrument économique désuet, pourtant, la coopération économique et sociale a été la solution qui a sauvé l’économie en Argentine, puis en Russie lors de l’éclatement de l’Urss communiste. Ce furent les Coops qui permirent de sauver les villages et les petites villes abandonnés de tous. Là encore ce n’était pas un modèle socio-économique nouveau. Dans les années 1370 à 1400, se forme la ligue hanséatique des communautés marchandes réunissant quelques 70 villes du nord de l’Europe (Brême, Cologne, Cracovie, Lubeck …) auxquelles viendront s’ajouter une centaine de bourgs de moindre importance. Dans un contexte tourmenté, ces commerçants ont constitué une gigantesque coopérative marchande afin de résister aux difficultés d’assurer des marges suffisantes pour des produits de grandes consommations et pour optimiser leurs coûts de transaction grâce à la mise en place de comptoirs de négoces communs[2]. Ce modèle, si courant que personne n’y prête une grande attention, illustre une organisation au fonctionnement économique, low cost, qui leur permet de perdurer là où une entreprise normale aurait du déposer son bilan rapidement. Il fait ses preuves partout dans le monde. En Italie, environ 163 000 personnes travaillent dans des coopératives à caractère social. Le Brésil qui doit se développer en manquant de capitaux est connu pour s’être appuyé sur l’économie coopérative pour créer des emplois. Les 7 000 coopératives du pays qui donnent du travail à 5,7 millions de travailleurs brésiliens représentent 6% du PIB. Côté consommateurs, les coopératives ont vu se constituer des «communautés d’adhérents» qui représentent plus de deux millions de brésiliens[3].  Le Brésil représente sans doute avec l’Inde ce qui se fait de plus innovant en matière de politique de développement économique alternatif : croître en mobilisant le moins de capitaux monétaires possibles. Un capitalisme des pauvres que prône l’inventeur du microcrédit, Muhammad Yunus, prix Nobel de la Paix 2000. Ici nous ne sommes plus dans une logique de « vie modeste » mais dans le cadre d’une croissance « économe » en capitaux caractéristique des modèles coopératifs. Cette politique de « croissance économe et durable » se révèle une alternative de plus en plus crédible alors que 800 millions de membres de coopératives démontrent la vitalité de ce type d’organisation à travers le monde.

Le modèle coopératif français ne paraît pas très dynamique, faute sans doute d’une figure charismatique qui lui fasse quitter une position quasi confidentielle dans le monde du travail et des entreprises. Les sociétés coopératives n’y sont pas des organisations de production ou de commercialisation très en vogue. Elles se concentrent traditionnellement sur les préoccupations de leurs membres à l’échelon local. Selon l’Observatoire économique des Coop de France, le chiffre d’affaires global est estimé à 67 milliards d’euros pour 36 000 salariés actionnaires et 150 000 salariés non coopérateurs[4]. Ces « Coops » sont en train de s’adapter à l’économie des services comme le démontre depuis déjà longtemps le Chèque Déjeuner. Elles ont un bel avenir devant elles. Elles peuvent devenir une coopérative commerciale, une Scic (Société coopérative d’intérêt collectif), en se distinguant d’une société commerciale classique par ses finalités d’utilité sociale. L’ambitieux projet, déclaré lors de l’assemblée générale des coopérateurs en 2004, de mailler d’ici à quatre ans plus de 200 coopératives supplémentaires constitue une base de cette offensive nouvelle en France, devenant alors, comme aux Etats-Unis où le mouvement s’amplifie, un accélérateur du modèle de l’économie coopérative.  Les Scoop (Sociétés coopératives de Production) restent l’ultime solution pour sauver l’outil de travail lorsque les capitaux classiques l’abandonnent faute de rendement suffisant. C’est l’aventure récente de l’entreprise de maroquinerie Vacher devenue la propriété de ses seize salariés mobilisés collectivement pour investir dans leur outil de travail. Les organisations coopératives vont devenir un instrument indispensable au développement durable chaque fois que le capital peut être incarné par une forte intensité des savoirs et corrigeant la déformation courante de la répartition de la valeur créée entre les actionnaires et les salariés. Ces préoccupations sont devenues générales et mondiales. Les précurseurs seront sans doute oubliés dans quelques années mais le mouvement trouve un renouveau dans les comportements de la croissance douce, économe des ressources et soucieuses de qualité de vie. Internet devient une aubaine pour le mouvement coopératif. L’arrivée du Web facilite le prosélytisme de ses adhérents et surtout la fécondité d’un mouvement qui peut s’organiser mieux grâce aux réseaux d’entreprises solidaires qui se mettent en place. L’attractivité de ses formes d’organisation sociale et économique pourrait bien mobiliser davantage de citoyens en communiquant sur des valeurs qui les séduisent aujourd’hui. La Coop est l’avenir de ceux qui ont compris qu’elle était le compromis approprié pour un tissu économique fragile ou en faible croissance, disposant de peu de capitaux mais d’une force de travail abondante et, surtout, savante.

La coopération sur le Net offre des compromis innovants tant au niveau individuel que collectif. Les comportements coopératifs les plus connus du grand public sont Linux et le programme SETI@home pour le Grid. Les laboratoires de recherche font appel à Folding@home qui met à leur disposition une liste de particuliers ou d’entreprises volontaires pour installer sur leurs machines un logiciel de calcul coopératif. Ces expérimentations coopératives sont extrêmement nombreuses. En 2002 le gouvernement britannique a décidé un investissement de 175 millions d’euros dans les expériences de « e.science » afin d’encourager les coopérations globales entre programmes et projets scientifiques internationaux. Un journaliste de Business Week s’est fait une spécialité de suivre ces recherches des nouveaux  concepts de l’économie coopérative. Il tient un blog qui recense les expériences en cours[5], L’université de Stanford où exerce Howard Reingold est aussi à l’origine de travaux originaux à surveiller[6]. Howard Reingold (qui avait contribué à notre livre Le Travail aux 21 siècle) fait partie du Projet Coopération, un groupe de chercheurs et des hommes d’affaires américains qui essaient d’esquisser le nouveau paysage de l’économie coopérative des foules numériques. On peut signaler aussi les travaux du professeur de Faculté de droit à Yale, Yochai Benkler qui s’est fait remarquer par un papier très inspiré sur le sujet[7]. Il a notamment mis en valeur la notion de « production peer to peer » que nous pourrions traduire par autoproduction de personne à personne caractérisant des échanges de savoirs et de services qui échappent en partie à l’analyse marchande classique. Un phénomène d’autoproduction qui a fait l’objet de notre livre « ebusiness generation, les micros activités gagnent de l’argent sur Internet » qui annonçait l’explosion du self employment en Europe et que la France lance en encourageant le statut de l’auto-entrepreneur.

Coops d'avenirLe mode coopératif est non seulement un mode d’organisation plein d’avenir mais aussi le modèle économique et social de l’avenir. Bien accompagnée la démarche coopérative s’insère sans grande difficulté dans l’économie classique à l’exemple du Canada qui dispose d’un Secrétariat fédéral en charge des développements des modes coopératifs[8]. Le Conseil Canadien de la Coopération est une organisation qui vise à aider toute personne qui souhaite développer une coopérative, effectuer des recherches et tester des applications innovatrices du modèle coopératif. L’IDC vise à rendre l’option coopérative plus accessible aux Canadiennes et aux Canadiens, de façon à répondre aux défis actuels[9]. On en parle peu dans une France tétanisée sur son modèle social, tiraillée entre nostalgiques du modèle soviétique et partisans du libéralisme anglo-saxon. Pourtant le sujet est désormais si important dans la recherche de nouveaux équilibres économiques que le Secrétaire Général des Nations Unies KOFI ANNAN en avait fait un des thèmes prioritaires de l’année 2004 avec le lancement de la Journée internationale des coopératives. Pour sa part, le BIT (Bureau International du Travail) a présenté une étude complète sur les potentiels de ces organisations, notamment dans des contextes fortement concurrentiels[10]. Il n’y a plus d’institution qui ne soit, d’une façon ou d’une autre, concernée par la coopération y compris à l’international. En leur donnant les moyens de se développer et de réussir, les États peuvent aider les coopératives du monde entier à exercer pleinement leur rôle en mettant effectivement la mondialisation à la portée de tous. En France, un site portail pour le Groupement National des Coopératives est à la disposition des organismes ou personnes intéressés.[11] A l’heure où les commentateurs ne cessent d’évoquer à tout bout de champ l’importance des clusters, la Journée Internationale des Coopératives reste quasi confidentielle. Elle serait pourtant l’occasion, pour les Scoop françaises intéressées, de se faire mieux connaître tout en se préparant à s’attaquer à la mondialisation des marchés[12].

Qu’en conclure ? Qu’aider directement les entreprises n’est pas toujours la bonne option. Pas plus d’ailleurs que de voir l’Etat subventionner l’innovation des entreprises sur certains territoires  (il y a déjà de nombreux organismes de soutiens régionaux pour ça) car il est difficile de décréter qu’une vraie coopération économique transversale et sans frontière s’y développera[13]. Nous savons nos PME trop isolées et d’une taille souvent insuffisante. La priorité est de favoriser leur intégration dans des filières professionnelles. Ce qui laisse à penser qu’il faut soutenir les coopérations interrégionales dans un cadre au moins européen.  Conclusion : Il nous faut soutenir le développement des PME en général en agissant sur leurs modes d’organisations et de structurations. Ce qu’il faut encourager c’est la constitution de grappes dans des filières considérées comme cruciales. Ce qui passe aussi par une intense activité de sensibilisation et d’information vers les dirigeants de ces PME. Dans une société du lien, dans une économie en réseau qui ne se raisonne plus par les territoires mais par les coopérations entre les acteurs économiques et industriels, il s’agit de prendre le parti de soutenir la construction de ces liens. D’inciter les entreprises à s’associer dans des coopératives modernes par des avantages fiscaux et des aides ciblées. Les financements publics doivent être réorientés afin de favoriser le développement des coopératives européennes et les liens entre les PME  pour leur donner une taille suffisante pour faire face aux défis de la concurrence mondiale.


[1] Sous la plume d’Antoine Boudet

[2] « La Hanse XIIe et XIIIe siècle » Phillipe Dollinger, Aubier 1964.

[3] Pour en savoir plus, voir Organisation des Coopératives Brésiliennes (OCB) Marcio Lopes de Freitas, président. Courrier International du 12 juillet 2005

[4] On dénombre 3 500 entreprises industrielles et commerciales de statut coopératif auquel il faut ajouter 13 300 CUMA (Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole). Celles-ci regroupent 240 000 adhérents. Le mouvement a même sa banque : le Crédit Coopératif[4]. Historiquement le secteur agricole qui cherchait des solutions pour limiter ses investissements a toujours joué sur la mutualisation des équipements et la coopération des savoir-faire. On estime que plus de 400 000 exploitations agricoles adhèrent à une coopérative pour tout ou partie de leurs activités, soit 9 exploitations sur 10.

[5] www.businessweek.com/the_thread/techbeat à rob_hof@businessweek.com

[6] http://cooperation.smartmobs.com/cs/

[7] http://www.yalelawjournal.org/pdf/114-2/Benkler_FINAL_YLJ114-2.pdf

[8] http://www.agr.gc.ca/policy/coop/home_f.phtml

[9] http://www.ccc.coop/francais/accueil/accueil.asp

[10] http://www.ilo.org/public/french/standards/relm/ilc/ilc89/rep-v-1.htm

[11] http://www.entreprises.coop/

[12] http://www.scop.coop/

[13] Ce reproche a souvent été entendu pour les pôles de compétitivités qui sont souvent constitués de laboratoires de recherches et de PME considérées comme exemplaires dans un domaine clé mais souvent phagocyté par un grand groupe leader du cluster qui devient, ou est déjà, un « donneur d’ordre ». Nous sommes bien loin de la philosophie de l’économie coopérative des réseaux socio-économiques.

Précédent

Faut-il encourager la thèse de la licence globale ? Comment la financer? D’ailleurs sont-ce là les bonnes questions ?!

Suivant

Entrée dans la sphère marchande la formation est soumise à la concurrence.

A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

dix + seize =

Voir aussi

1 × quatre =