Les entreprises multiplient les partenariats. Ce faisant elles gagnent en efficacité et en flexibilité en créant des chaînes de valeurs originales globalement plus productives. Depuis 1992, les marges gagnées aux États-Unis l’ont été par l’alliance d’entreprises : c’est là que se trouvent les gisements de productivité promis par les investissements informatiques que tout le monde cherchait. Conséquence : les entreprises doivent sortir d’une logique économique classique et faire appel les unes aux autres pour se développer, s’appuyer sur des réseaux pour multiplier les partenariats. Elles doivent devenir « plug and play » !

Les fusions fortement médiatisées masquent un phénomène structurel, profond, de « dé-massification » des entreprises : la taille moyenne des entreprises américaines s’est réduite d’environ 20% (downsizing)[1] durant la dernière décennie. Selon les consultants en stratégie, si la taille critique varie selon les industries, une taille et surtout une diversification trop importante, c’est-à-dire un portefeuille d’activités trop varié, deviennent vite des handicaps. Jean Estin, ancien président Europe de Mercer Management Consulting, dans un article  » A quoi donc servent les fusions?« [2], met le doigt sur le fait que les activités filières comme la confection n’arrivent pas à créer de la valeur en se concentrant mais bien en rénovant leur chaîne de la valeur. En diminuant de façon spectaculaire le coût des transactions entre acteurs économiques les réseaux de télécommunications autorisent des combinaisons imaginatives qui sont autant de possibilités d’inventer des co-entreprises interconnectées, des modèles économiques originaux créateurs de valeur. Des milliers d’entreprises entreprennent de collaborer afin d’améliorer leur rentabilité globale. Le plus souvent en réinventant leur « business design » traditionnel.

Caractérisées par une forte interdépendance les entreprises modernes se constituent en communautés professionnelles. Les réseaux électroniques ne se contentent pas de transformer des chaînes de la valeur ils facilitent la rupture des modèles. Un point d’inflexion stratégique se constitue cette fois-ci, non pas dans l’arrivée d’un service ou d’un produit révolutionnaire, mais par des innovations organisationnelles rendues possibles par les réseaux électroniques. Le levier stratégique se trouve désormais dans la capacité à déstabiliser le modèle existant en y substituant le sien. C’est ainsi qu’une équipe de MacKinsey à NewYork et Boston, qui détaille les améliorations importantes des performances dues à ce type de restructurations, conclue que l’innovation organisationnelle est devenue un moteur majeur de la création de valeur[3]. Elle prend tellement d’importance que les marchés financiers ne manquent jamais de saluer toute initiative intelligente. Elle a été à l’origine des plus fortes créations de valeur boursière car, selon le cabinet Mercer Management Consulting, elles ont su se développer sur la base de concepts innovants[4].  L’introduction en Bourse d’Ariba, en juin 1999, partie de 23 dollars pour grimper en quelques heures à 90 dollars, soit près de 300% de hausse, illustre l’importance qu’accorde le milieu financier aux modèles économiques qui lui paraissent les plus astucieux, les plus intéressants. Au lieu de facturer ses licences logicielles en fonction de l’importance du parc utilisateur, Ariba, société californienne de logiciels, fixe son prix sur la base de la consommation réelle. Elle calcule la facturation selon le nombre de télétransactions annuelles effectuées sur son système. Elle était valorisée à la mi-99 à trois milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 16 millions pour la seule raison que ses dirigeants avaient su innover dans un modèle économique et organisationnel considéré comme original. Lorsque les Japonais enfoncèrent le marché américain face au trois grands de l’industrie US qu’étaient Général Motors, Ford et Chrysler, ce sont leurs organisations de la fabrication (juste-à- temps, autonomie et flexibilité des tâches) qui firent la différence[5]. Les entreprises sont confrontées bel et bien à une nouvelle façon de penser la création de richesses. Aussi le développement des co-entreprises « plug and play », flexibles et agiles, capables de s’interconnecter à la demande et qui chassent en meute sur les marchés nationaux et internationaux leur donnera du fil à retordre. Si la maîtrise technologique reste indispensable, dans bien des cas, la perte d’une position stratégique par manque d’innovation organisationnelle est bien plus grave. Aussi, aujourd’hui, chaque chef d’entreprise doit se poser cette question : « Sommes-nous prêt à la compétition par les modèles organisationnels ?! »


[1] World Company, Futuribles, n° 242, Michel Drancourt

[2] L’Expansion Management Review de Juin 1999, page 44 et suite

[3] Expansion Management Revue, Patricia L.Anslinger, Steven J.Klepper et Somu Subraniam du cabinet MacKinsey, de septembre 1999,

[4] Etude de Mercer Management Consulting sur les évolutions de la Bourse de 900 sociétés américaines entre 1991 et 1997. Les Echos, du 8.12.1998

[5] A la fin des années 90, une étude de Havard Business School montrait que les constructeurs japonais s’étaient assurés un avantage compétitif grâce à leurs organisations, en cassant les cloisons entre métiers et services de l’entreprise.

Précédent

2 - L'Entreprise virtuelle, modèle universel?

Suivant

4 - Les entreprises du futur : des chaînes d'organisation

A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

16 + 7 =

Voir aussi

cinq − quatre =