Savez-vous quel est le plus gros annonceur américain sur la Toile? Ne cherchez pas. C’est l’University of Phoenix Online qui, avec 88 millions de dollars de budget annuel, est le premier annonceur sur Internet. Cela fait bientôt dix ans que l’University of Phoenix Online squatte les premières places des classements de la publicité en ligne. L’université a lancé en l’an 2000 sa première campagne massive de publicité à la télévision, sur Internet et en marketing direct pour un budget total de 87 millions de dollars. Résultats ? Une croissance de plus de 86,5% des inscriptions en moins d’un an. Un an plus tard, en 2001, 25.700 étudiants sont inscrits en e-learning, et 70.000 aux cours traditionnels. Aujourd’hui, l’University of Phoenix est une des plus grandes universités privées au monde. Créée en 1976, l’University of Phoenix possède 250 campus et centres d’enseignement à travers les Etats-Unis. Elle emploie 12.500 enseignants pour ses programmes de e-learning, dont la plupart travaillent à temps partiel. Son marché reste considérable. Selon le Sloan Consortium, en 2006, 3,5 millions d’étudiants américains ont suivi des cours en ligne et à l’avenir on prévoit «qu’un étudiant sur  cinq recevra une part substantielle  de sa formation par Internet»[1]. La formation n’est plus une prérogative des États, en entrant dans la sphère marchande elle devient un acteur de la compétition internationale dans une économie des connaissances. Selon le Monde Diplomatique de Juin 1998, mille milliards de dollars sont consacrés chaque année par les Etats membres de l’OCDE en faveur de l’enseignement. Un tel marché est activement convoité. Quatre millions d’enseignants, 80 millions d’élèves et d’étudiants, 320 000 établissements scolaires (dont 5 000 universités et écoles supérieures de l’Union européenne) sont à présent dans la ligne de mire des services marchands. L’idée de faire de la formation un levier économique de premier plan plaira sans doute. Mais en France la formation comme la santé ne sont pas censées être mises dans le secteur marchand alors que, pour d’autres pays, elle devient une source de devises qui intéresse un nombre croissant de postulants. Le chiffre d’affaires de la formation représente le quatrième poste des exportations des Etats-Unis avec plus de 7 milliards de dollars annuel. Plus de 500 000 jeunes de toutes nationalités partent se former chaque année dans les campus américains. Le marché mondial de la formation est devenu une source de devises mais aussi une façon d’attirer vers soi les talents venus de pays étrangers. En Australie, les étudiants étrangers formés par des établissements australiens représentent actuellement plus de 20% des étudiants. Plus de deux millions de jeunes continuent des études supérieures en dehors de leurs pays d’origine. On prévoit que ce montant pourrait passer à plus de huit millions d’ici à 2025. L’Australie comme le Royaume Uni et les pays de l’Union Européenne essaient de tirer parti de cette manne qui représente un chiffre d’affaires annuel de quelques 12 milliards de dollars. Les établissements canadiens, allemands et sud-africains s’efforcent de renforcer leurs offres de formation à l’étranger. L’University of New South Wales de Sydney va investir 220 millions d’euros dans un campus capable de recevoir quelque 15 000 étudiants en majorité étrangers. Le tout accompagné de campagnes de promotion dignes d’une grande marque avec l’objectif d’attirer les dix meilleures universités mondiales sur place. Les locaux sont flambants neufs, les enseignants de haut niveau s’expriment tous en anglais et les dotations budgétaires de ces universités ont de quoi désespérer les patrons des nôtres.

Nous assistons depuis peu, non seulement à une compétition plus intense entre établissements, mais aussi à l’implantation directe d’un nombre croissant de grandes écoles à l’étranger. L’université américaine Laureate International Universities, cotée au Nasdaq, a acquis ou créé des universités privées et des écoles de commerce en France, en Espagne, aux Pays-Bas, en Inde, en Chine, au Mexique, au Chili et en Suisse, soit au total une capacité d’accueil de plus de 60 000 étudiants. Une tendance à laquelle les facultés, les universités et autres grandes écoles françaises devront s’adapter. A condition qu’elles trouvent les moyens d’investir qui leur font défaut. Le MIT draine plus d’un milliard d’euros là ou l’ensemble des grandes écoles françaises n’atteint pas un budget égal au dixième du sien. Les pôles d’enseignement supérieur ne pourront pas faire moins que de s’associer et de se regrouper afin d’affronter la concurrence des étrangère. La compétition est ouverte et l’on se surveille déjà entre grandes écoles. Mais en matière de « business » c’est Singapour qui tient la corde. Là bas, les locaux ne craignent pas les grandes écoles françaises qui voudraient former une part de leurs ressortissants. Ile Etat de 4,5 millions d’habitants à l’épicentre de plusieurs continents, Singapour engrange déjà près de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires entre les inscriptions de ses nationaux, de la diaspora asiatique et des étrangers de plus en plus nombreux. La part du PIB de la formation dans les revenus de Singapour, de 1,8%, en 2007, devrait atteindre 5% dans la décennie à venir. L’Île Etat conduit une stratégie très pragmatique incarnée par la mise en place de son International School Hub qui multiplie l’ouverture de bureaux de recrutement en Europe et aux Etats-Unis ainsi que les accords de partenariat avec de grandes écoles australiennes, américaines et européennes. Les pouvoir publics ne cachent pas leurs intentions de développer des activités d’elearning pour leurs marchés régionaux. Car le commerce international des services de formation a également pris des formes nouvelles avec l’implantation des Campus virtuels. Une des universités américaines les plus en pointe dans ce domaine, Penn State, fournit des outils en ligne à 62 000 étudiants. Richard T. Hezel et Josh Mitchell de Hezel Associates, un des leaders de la fourniture de services de e-learning aux états-Unis estimaient en 2006 que le marché mondial du e-learning devrait dépasser 215 milliards de $ d’ici 20 ans[2]. Ces « campus virtuels » assurent la fourniture transnationale de téléformation pour répondre plus efficacement et économiquement à la demande. L’Australie par exemple exporte de plus en plus de services de formation supérieure. Entre 1996 et 2001, les inscriptions d’étudiants internationaux qui étudient depuis l’étranger sont passées de 24% à 37% de l’effectif de tous les étudiants étrangers inscrits dans ses universités[3]. On peut prévoir une croissance vigoureuse des propositions de services en ligne par des campus virtuels pour des formations spécialisées. Cette commercialisation distante sera à l’origine de nouveaux déséquilibres à l’exportation pour certains pays mal préparés à proposer ce type de prestations. La France voit se multiplier les expériences isolées et parfois très pointues. Elle dispose de pôles compétents d’enseignement à distance. Pourtant, elle n’en fait pas pour l’instant un levier de pénétration de ces nouveaux marchés alors qu’ils sont un des socles du développement de la marchandisation de la formation. Les pays qui développent ces services améliorent ainsi la compétitivité, l’attractivité de leurs systèmes d’enseignement et s’offrent l’opportunité de captiver les meilleurs enseignants. Les universités privées engagent des professeurs « superstars » et font de l’enseignement un véritable business. Un peu partout, aidés par les pouvoirs publics, les campus font leurs emplettes afin d’attirer les plus brillants. La France n’aurait-elle aucun attrait pour les talents ? Pas d’argent sans doute ! Steven Picker, un spécialiste du langage, professeur au MIT (Massachusetts Institute of Technology), a été débauché par Harvard, attiré par le budget de recherche de 1,8 milliard de dollars qu’on lui proposait. Si l’actualité française ne manque pas de souligner le succès de quelques uns de nos grands patrons, elle reste muette sur les talents qui nous aurions réussi à recruter pour assurer la formation de nos étudiants ou animer nos laboratoires de recherche. Le seul exemple marquant dont je me souvienne est celui de l’arrivée de Seymour Papert pour prendre les rennes du Centre Mondial de l’Informatique, à Paris, à la demande de Jean-Jacques Servant Schreiber, vers la fin des années 80[4]. elearning02Le monde de la formation saura-t-il se remettre en question ? En France un autre choix, plus égalitaire, a été fait. A trop vouloir des universités « cheaps », sans sélection, des élèves décidés à rompre ce maudit égalitarisme par le bas s’inscrivent dans des écoles privées y compris étrangères quoi qu’il leur en coûte. Les compétitions entre nations savantes ne se placent plus seulement sur le terrain de la « production » et de la « consommation » d’actifs matériels mais sur celui de la production et la consommation de connaissances. La formation est devenue un marché compétitif où se situent les besoins essentiels des cadres des pays en développement où nous délocalisons certaines activités. Une infime partie de ces cadres viennent chez nous pour se former alors que la demande ne cesse de croitre chez eux dans de très nombreux domaines, ce qui augure une forte demande de produits de formation en ligne. Plutôt que de considérer la formation comme un produit d’exportation pour faire entrer des devises, donc de créer des emplois, des personnalités, n’en doutons pas, bien intentionnées, nous rappelleront avec vigueur qu’il s’agit de la chasse gardée du secteur public. Un secteur qui ne supporte pas et étouffe autant que possible toute concurrence du privé. Voilà pourquoi notre économie des connaissances s’est mise en grand danger.


[1] Dans une enquête réalisée en 2006 pour la National School Boards Foundation (NSBF), 30 % des directeurs d’école pensaient qu’au moins un étudiant sur cinq allait recevoir une part « substantielle » de  sa formation par l’intermédiaire d’Internet.

[2] Quelques chiffres en vrac donnent une idée de l’étendue de son impact prévisible, notamment aux états-Unis. Un sondage de 2002 indiquait que près de 80 % des étudiants interrogés affirmaient qu’Internet avait apporté un supplément à leur expérience universitaire et 56 % déclaraient que le courrier électronique à lui seul avait enrichi les relations avec leurs professeurs.

[3]http://www.observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/628/Le_commerce_de_l%92%E9ducation:un_nouvel_enjeu_international.html

[4] Malgré un indéniable succès médiatique. Ce centre qui devait préparer la France à prendre une place de tout premier plan entre le Japon et les USA dans le domaine des technologies de l’information a été un énorme flop à l’instar du plan informatique pour tous, ( le choix des T07 de Thomson aussi convivial qu’un manche à balai !) doublé d’un scandale financier. En effet, quand la structure a commencé à couler, une structure associative de droit américain a été montée aux USA, et des subventions publiques du ministère de l’éducation nationale y ont été transférées, lequel n’a jamais réussi à les récupérer. Voir aussi http://www.holybuzz.com/JJSS-et-le-centre-mondial.html

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

1 commentaire

  1. Commentaire sur la formation marché
    La National University de Singapour ( NUS) est l’expression de la réussite de la politique engagée il y a quelques années par la ville Etat. Dans ce petit Monaco de l’Asie du sud-est, le gouvernement singapourien a fait le pari de faire de la formation un axe fort de leur croissance. Un pari en voie de réussir si on en croît le succès international de NUS. NUS régulièrement classées dans les premières universités asiatiques attirent de nombreuses nationalités régionales mais aussi de nombreux européens et américains. La qualité du cadre, la modernité du campus et la qualité des enseignants contribuent à son attractivité. Plus de 30 000 étudiants y travaillent soit sur place, soit à distance, car NUS développe un important réseau où se retrouve tous les cours et toutes les ressources nécessaires au suivi des enseignements. Véritable ville à l’intérieur de Singapour, l’importance du campus commence d’ailleurs à poser des problèmes de saturation des équipements. Aussi, afin de contourner la difficulté NUS compte renforcer ses enseignements à distance.

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