Si le potentiel relationnel d’un réseau comme internet est considérable, la question reste de savoir pourquoi on se donnerait la peine de transmettre la nouvelle, de réagir aux évènements qui affectent les peuples ou les individus. Réponse… par désir de se rendre utile dans un monde qui paraît terriblement proche par le fait des liens électroniques mais dont chacun a le sentiment qu’il se dilue dans un grand tout informel. Internet  favorise la réinvention des liens sociaux. La relation coopérative, « le don » devient le marqueur génétique des nouvelles qualités indispensables au développement de nos civilisations. Sur la planète numérique qu’incarne Internet, nous assistons à la modification du périmètre de la socialisation entre résistance à une certaine promiscuité d’un côté et de l’autre la recherche nouvelle d’intégration distante dans des tribus liées par les mêmes affinités. L’avantage de ces hyper rencontres est celui d’une fécondation mutuelle des valeurs, des cultures. Finalement, grâce à la technologie « du lien », pour la première fois dans l’histoire humaine, nous avons la possibilité d’entretenir des rapports intenses avec un très grand nombre de gens vivant loin de nous. illusionLa Toile devient un médiateur social et économique d’un type tout à fait nouveau qui désenclave l’individu tout en lui offrant une palette considérable de possibilités pour entrer en relation avec autrui. Dans une enquête intitulée The Strength of Internet Ties (la force des liens sur Internet), le cabinet d’études américain Pew Internet indique qu’«Internet et le courriel jouent un rôle important dans le maintien des réseaux sociaux dispersés ». Ils viendraient compléter les communications téléphoniques et les rencontres en face à face au lieu de les concurrencer. L’étude américaine souligne également que les communications en ligne et le Web seraient couramment utilisés pour la résolution de problèmes personnels ou professionnels. Quelques 60 millions d’Américains auraient déjà employé Internet dans ce but au cours des deux dernières années[1]. Internet  en favorisant la réinvention des liens sociaux ne devient-il pas le marqueur génétique, universel, indispensable au développement de nos civilisations, de notre culture[2]?

Après avoir constaté l’inanité de compter sur des communautés (au sens communautariste), qui multiplient et renforcent leurs spécificités en constituant ainsi autant de murs entre elles, les individus les plus ouverts préfèrent le renforcement des liens familiaux (pensez à l’impact du téléphone portable sur les relations interindividuelles) et la recherche de relations d’affinités rendues plus faciles par Internet. Sur notre nouvelle planète, la relation virtuelle, moins engageante physiquement implique le partage de valeurs et d’émotions, d’échange d’expériences. Les communautés virtuelles deviennent les nouveaux espaces sociaux de ralliement de la société numérisée. En cela n’ouvrent-elles pas un nouveau pan de l’histoire de l’humanité ? Alain Minc,  dans « Epitres à nos nouveaux maîtres » parle d’une société fragmentée, dominée par ses minorités[3]. Minorités qu’il accuse – non sans de bons arguments- de pervertir le fonctionnement des démocraties. Il analyse une société de corporatismes qui s’attaque derrière le « mythe républicain » aux valeurs qu’elles prétendent défendre. Du coup nos sociétés modernes fonctionnent dans un régime de « déresponsabilité partagée ». Il y avait « le toujours plus », il y a maintenant le « toujours l’autre ». Gouverner une société qui se reconnaît davantage par ses particularismes, ses singularités et ses discriminations que par son unité de culture et de valeurs peut paraître alors impossible. De son côté, Luc Ferry dans son essai « Face à la crise, matériaux pour une politique de civilisation[4] » tente une réponse et s’interroge sur ce que seraient les forces de cohésion universelles d’une civilisation qui se fragmente en tas granuleux de langues, en agrégats de styles de vies, divergeant par les croyances, les pouvoirs d’argent, par les modes de vies dans des pays qui sont passés d’une économie de production à une économie de consommation. Alors la société devient un marché qui se fragmente et se découpe en quartiles aux yeux du marketeur : « Dis-moi ce que tu consommes, je te dirais qui tu es » ! Luc Ferry en appelle à l’acte salvateur de la rationalité scientifique pour expliquer la première grande vague civilisatrice qui parcourt le monde entre le XVIe et le XVIIIe siècle.  Celle qui réunit les élites par le fait scientifique et ses lois universelles. Il considère que les temps de la rationalité scientifique ouverts avec le siècle des lumières en fait un langage universel. Thèse audacieuse. x5861f1dJe préfère l’idée que c’est la diffusion des connaissances par les livres et les clercs qui ouvrent à chacun l’accès à des « lumières » et forge ce lien universel.  Alors où se trouve ce lien universel à l’ère de la société du tout numérique ? Luc Ferry s’avise dans sa réponse de montrer que la société de la compassion (donc de l’intérêt porté à l’autre), que l’humanisation des hommes dans le partage de certaines valeurs, devient le lien de notre civilisation actuelle. En d’autres termes, face au constat de la granulométrie, de l’atomisation croissante des groupes sociaux, il propose de penser la relation à l’autre comme l’attache universelle de la progression civilisatrice. Je le suis tout à fait. En 1996, dans sa contribution au Travail au 21e siècle[5]. Pierre Lévy, mettait en évidence le fait que « l’intelligence collective » était d’abord celle de l’échange, du lien. Les métiers du futur, expliquait-il dans sa contribution « Pour une ingénierie de l’intelligence et des qualités humaines » seront « des métiers de la relation ». Il présentait déjà ce que seront les réseaux relationnels qui se développent un peu partout dans le monde. Pour lui, les conditions de la création de nouvelles richesses nécessitent que notre société admette explicitement que les apports des activités sociales produisent et maintiennent le capital social indispensable au progrès. Cet investissement relationnel quelque en soit la nature, les objectifs et les ressources, constituera un capital social que fera fructifier le groupe. Une analyse selon laquelle une société gavée de richesses matérielles ne peut plus avancer sans s’interroger sur ses qualités humaines, sur la qualité du lien social qui favorise et encourage l’échange. Echanges dont la première des caractéristiques est de savoir donner du savoir, de savoir faire « le don ». Pour cela Internet se substitut aux clercs et aux livres. Internet est une technologie du lien qu’utilisent des foules numériques parcourues d’émotions généreuses et de ressentiments. Les populations numériques relaient de proche en proche l’information qui les indigne ou les mobilise donnant à leur démarche un pouvoir redoutable. Les sociologues se passionnent pour ces phénomènes de foules, dites numériques, capable de se mobiliser à partir de tous les coins de la planète lorsqu’il s’agit de soutenir les naufragés du tsunami, des inondations ou des tremblements de terre récents qui ont fait des dizaines de milliers de victimes. Des centaines de milliers de forums de discussion venant de tous pays, en toutes langues et traitant une infinie variété de sujets désenclavent la connaissance et l’économie par la même occasion. Dans des millions de forums spécialisés on se la joue petits déjeuners virtuels entre amis pour trouver appartements, nouveaux jobs et multiplier des échanges qui ne sont pas qu’amoureux. Par exemple, OneWorld en ouvrant son portail du Web sur les questions de justice sociale encourage les gens à intervenir là où les médias traditionnels ne sont pas assez déterminés pour traiter certaines questions importantes qui ne sont pas dans l’actualité du jour[6]. A mesure que l’internaute comprend les particularités et les richesses de la planète numérique, l’utilisateur s’enhardit. Il apprend à consommer mieux, certes, mais aussi à mieux s’informer. Puis il devient plus actif et interactif. Il participe à des groupes de discussions, s’engage parfois, s’informe toujours. Enfin, il devient acteur, crée son personnage, construit son image, personnalise les contenus de son blog à souhait, prenant de-ci de-là des éléments qui retiennent son attention. Le voilà producteur d’idées, d’avis. Ecoutant, il récoltait. Maintenant, il s’exprime : il donne !


[1] http://www.pewinternet.org/index.asp

[2]«  Netbrain, planète numériques, les batailles des nations savantes », Denis Ettighoffer, Prix de l’Economie Numérique. Dunod 2008

[3] Alain Minc « Epitres à nos nouveaux maitres » Grasset 2002

[4] Odile Jacob. 2009

[5] Collectif Eurotechnopolis Institut, Le Travail au 21e siècle, Mutations de l’économie et de la société à l’ère des autoroutes de l’information, Paris, Dunod, 1996.

[6] http://www.oneworld.net/

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

4 commentaires

  1. Pour ceux que le sujet intéresse particulièrement je les invite à se procurer l’ouvrage de Jacques Godbout et Alain Caillé; « L’esprit du don » Editions la Découverte. 1992 Quebec. Il est un peu difficile d’accès et touffu mais il aborde avec finesse la complexité de nos comportements individuels et collectifs en démontrant l’importance du « Don » dans nos rapports sociaux.

  2. Dans les relations entre les individus « le désir d’échanger » fonctionne un peu selon le même schéma subjectif lorsque nous parlons de troc ; Oui de troc. Par exemple, je vais suggérer une modification dans une procédure car je suis certain que si elle est acceptée, cela peut me faciliter le travail mais aussi me valoir des remarques flatteuses de la part de ma direction et de la plupart de mes collègues. Le bien être apporté à la collectivité me sera rendu sous la forme d’une considération supplémentaire. Même si notre propos est un peu idéalisé, le mécanisme est bien celui là. Il faudra, bien sûr, en tirer parti lors de la mise en réseaux de la communauté professionnelle. Il s’agit en effet de la motivation première de l’individu face au collectif : échanger pour se valoriser. La construction de l’échange ne s’établit pas sur la nature du vecteur, ni sur l’information à proprement parler, elle s’établit sur la base d’un échange « gagnant-gagnant » qui valide une expertise et donc l’utilité sociale et professionnelle d’un individu dans le groupe.

  3. Robert Axelrod étudie le phénomène des stratégies « gagnant-gagnant » depuis des années, il aborde la coopération en démontrant l’intérêt de coopérer même en situation de concurrence ou de confrontation. Spécialiste en théorie des jeux, Robert Axelrod enseigne les sciences politiques à l’Université du Michigan (États-Unis). Après son premier livre américain The Evolution of Cooperation, datant de 1984 il a été traduit en français et édité en 1992 chez Odile Jacob sous le titre « Donnant-donnant » ( titre qui me paraît plus pertinent que « gagnant/gagnant ») . Un second ouvrage est sorti en 1996 sous le titre « Comment réussir dans un monde d’égoïstes » toujours chez Odile Jacob . On ne peut que souhaiter voir ses thèses plus connues et appliquées dans les transactions relatives aux savoirs ou aux biens numériques coproduit et co-distribué dans les réseaux savants. Autre approche, celle d’une étude récente du CNRS publiée dans Nature qui montre que les comportements altruistes (qui viennent en aide aux autres) ne contredissent pas la théorie de Darwin. Celle ci propose une compétition permanente qui voudrait que les égoïstes soient les grands gagnants de l’évolution. L’altruisme devrait logiquement entraîner, par sélection naturelle, l’élimination de l’individu trop «généreux ». Or, Minus Van Baalen et Vincent Jansen, respectivement de l’université de Londres et du CNRS, viennent de démontrer que l’altruisme confère un avantage sélectif lorsque les individus concernés sont capables de se reconnaître entre eux. Baptisée « théorie des barbes vertes » pour en faciliter la compréhension, cette hypothèse postule que les altruistes se reconnaissent entre eux au moyen d’un signe distinctif, comme une « barbe verte » par exemple (une odeur, une molécule particulière…) et s’entraident ainsi exclusivement entre eux. J’ai rencontré cette attitude dans les réunions d’autodidactes et certaines ONG. Seul problème posé par les chercheurs : comment faire si des égoïstes se mettent à « tricher » en portant, à leur tour, une barbe verte pour se faire aider sans rien donner en échange ? Les deux chercheurs ont alors démontré que les altruistes sont capables de « changer la couleur de leur barbe » dès que les égoïstes deviennent trop abondants… et de déjouer ainsi le piège des égoïstes ! Cette thèse trouve son application chaque fois qu’un forum est envahit de trop de prédateurs ou de parasites. Ses membres actifs (les barbes vertes) migrent discrètement dans un autre forum tel un essaim qui s’installe sur un territoire plus propice en se débarrassant ainsi des importuns.

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